Photo d’archives/Jean-Jacques Candelier
Les interrogations de Mediapart sur Fabien Roussel

Un fantôme bien vivant

par Philippe Allienne
Publié le 24 février 2022 à 23:25

Depuis la parution de l’article de Mediapart s’interrogeant sur la réalité du travail de Fabien Roussel lorsqu’il était assistant parlementaire du député Jean-Jacques Candelier, les réactions ont été nombreuses. Il n’est nullement question pour nous de mettre en cause le travail journalistique d’un confrère. Mais on peut s’interroger sur le moment où tombe cette nouvelle et sur la manière dont elle est traitée.

Le titre de l’enquête, affirmatif, est en soi accusateur. Pour notre confrère, qui a interrogé Fabien Roussel en personne, il est clair que ce dernier a bidouillé en ne travaillant pas, ou trop peu, pour le député de la 16e circonscription du Nord au service duquel il était de 2009 à 2014. Ce dernier, qui est aujourd’hui toujours maire de Bruille-lez-Marchiennes, a peu apprécié. Énorme travailleur (c’est toujours vrai aujourd’hui), il s’appuie sur son bilan parlementaire. Entre 2007 et 2012, il a déposé 642 questions écrites à l’Assemblé nationale, il a fait 92 interventions en séance et a signé 27 propositions de loi ainsi que 74 propositions de résolution. Entre 2012 et 2017, l’effort ne faiblit pas. Documents en main, il cite : 235 interventions en séance, 175 questions en commission défense, 3 656 questions écrites. « Avec les 642 questions du précédent mandat, cela fait 4 296. J’étais au hit-parade ! », 37 propositions de loi, 23 résolutions et 8 bulletins.

« Comment aurais-je fait ?

Évidemment, Fabien Roussel n’a pas vécu l’ensemble de ces deux mandats. Mais le rythme de travail du député ne pouvait, entre 2009 et 2014, se satisfaire d’un assistant « fantôme ». « Comment aurais-je fait ? », s’interroge-t-il. « En général, un député s’entoure d’une équipe conséquente : deux ou trois collaborateurs et un secrétariat. Moi j’avais une secrétaire à plein temps, une à mi-temps, un collaborateur à temps plein et un autre embauché sur 20 heures. Comment aurais-je fait tout ce travail si Fabien Roussel n’avait été présent ? » Il ressort au passage le contrat de travail qui portait sur un salaire de 2 640 euros brut, soit environ 2 200 euros net.

Fabien Roussel (à gauche), lors d’une réunion autour de la situation d’AFR à Douai le 25 mai 2011.
© Photo d’archives/Jean-Jacques Candelier

D’autant que Jean-Jacques Candelier n’était pas que député. « À un moment donné, dit-il, j’avais cinq mandats : député, maire de Bruille-lez-Marchiennes, vice-président de la communauté de communes Cœur d’Ostrevent (durant 31 ans), président de la mission locale du Douaisis (durant 13 ans) et conseiller général. Je passais le lundi matin à ma permanence parlementaire, à Somain, ensuite je filais à Paris le lundi soir ou le mardi matin pour ne rentrer que le mercredi soir ou le jeudi matin. Je me rendais alors à la mairie, puis à la mission locale. » C’est ce qui explique les réunions avec ses collaborateurs du lundi matin. Mais Fabien Roussel ne pouvait y participer pour, comme il le dit lui-même à Mediapart, « raisons d’organisation familiale, connues et acceptées par Jean-Jacques Candelier. Cela ne m’empêchait pas d’assumer ma part de travail ». Et d’ailleurs, complète-t-il, « ni la semaine de travail de mes collègues ni la mienne n’auraient pu se résumer à une réunion hebdomadaire… Quant à mes échanges, ils se tenaient évidemment et principalement avec Jean-Jacques Candelier lui-même. Chacun de nous s’adressait directement à lui ». C’est bien ce que confirme l’ex-député. Quand Mediapart affirme que ce dernier refusait de travailler à distance, il y a confusion. « Je ne travaille pas via internet. Je ne l’ai jamais fait et je ne le fais toujours pas. Évidemment, étant donné mon rythme et mes disponibilités, il est clair que je préférais voir mes collaborateurs en direct le lundi matin. C’est plus facile pour discuter. Mais je voyais Fabien le samedi matin et, parfois, le soir. Pour le reste, nous échangions par téléphone et par fax. »

Un rôle fixé par le député

En avril 2014, après les élections municipales, Jean-Jacques Candelier perd la présidence de la communauté de communes Cœur d’Ostrevent au profit du socialiste Frédéric Delannoy. Ce dernier se souvient très bien avoir rencontré Fabien Roussel dès 2009. « Je ne le connaissais alors pas très bien, mais à l’époque il était clair qu’il était là pour préparer le travail du député Candelier », rapporte-t-il. Toujours entre 2009 et 2014, les syndicalistes se souviennent bien de la présence de Fabien Roussel sur des dossiers Arbel, Renault, la gare de fret de Somain, la centrale d’Hornaing ou encore AFR à Douai. Dominique Ben (CGT) a apporté un puissant témoignage. Certes, l’assistant parlementaire était devenu premier secrétaire de la fédération Nord du PCF et il apparaissait avec cette étiquette. Mais sur le terrain de la circonscription du député, affirme-t-il, c’est Jean-Jacques Candelier qui s’exprimait. Lorsqu’il a quitté ses fonctions d’assistant en 2014, Fabien Roussel a été remplacé par Mathieu Bayart, l’actuel secrétaire de la section PCF de Douai. Ce dernier assure que la transmission s’est faite sans souci. « Fabien m’a expliqué la mission dans le détail et m’a transmis tout ce qu’il fallait. » Et puis, explique un connaisseur du métier d’assistant parlementaire, « le collaborateur joue le rôle que chaque député lui fixe à l’intérieur de l’équipe qu’il a recrutée. (…) Les tâches confiées dépendent des besoins du député et des compétences de la personne recrutée. Les collaborateurs les plus qualifiés, disposant par exemple de diplômes de second cycle universitaire, apportent une contribution à l’exercice du mandat parlementaire : rédaction de discours, préparation de propositions de loi et d’amendement, représentation au sein du groupe politique, etc. ». Pour Jean-Jacques Candelier, la chose est claire : « Fabien préparait bien mon travail à l’Assemblée. C’était un bon assistant. »