Réforme des retraites

Moins de solidarité, plus de précarité

Décryptage

par Franck Jakubek
Publié le 6 décembre 2019 à 11:34 Mise à jour le 17 décembre 2019

Enseignant retraité, Michel Salingue a longtemps exercé des responsabilités syndicales au sein de la FSU. Dans le Pas-de-Calais, il suit avec attention le dossier de la réforme des retraites. Il animera notamment une formation ce vendredi 6 décembre à Lens à la fédération du PCF.

Quelle sont vos impressions concernant la mobilisation ?

Pour en avoir discuté avec des responsables syndicaux, à la SNCF il y a une très forte mobilisation. Dans l’Éducation nationale, c’est très fort, voire exceptionnel de l’ordre de 70 % dans le premier degré. Pour moi qui était responsable syndical depuis 1992, je n’avais jamais vu ça, même en 2003 nous ne sommes pas allés si haut.

Visiblement, en plus de la réforme des retraites, le mécontentement est grandissant ?

Il y aussi toutes les questions salariales, celles liées aux conditions de travail... ça s’accumule et au bout d’un moment, la colère est telle qu’effectivement en faisant leurs calculs sur le dossier des retraites. C’est une des professions qui va certainement perdre le plus dans cette affaire. Dans la mesure où chez les fonctionnaires le calcul de la retraite se fait sur les six derniers mois de salaire. Le jour où sera pris en compte l’ensemble de la carrière, je vous laisse imaginer ce que ça peut donner. Il va y avoir des pertes allant de 300 à 700 euros par mois.

Comme pour les salariés du privé, cette réforme ne donne-t-elle pas l’impression d’un changement de règles du jeu en cours de partie ?

Tout à fait, même si d’un point de vue légal ce n’est pas le cas, un salarié qui rentre dans le monde du travail signe une forme de contrat moral qui en quelque sorte lui permet d’imaginer qu’arrivé à 60 ou 62 ans, ses droits à la retraite correspondront à un certain pourcentage par rapport à son dernier salaire. Mais là, le calcul explose en vol. Car le calcul ne se fera plus à partir du salaire mais en fonction d’un nombre de points.

Quelles sont les inconvénients de ce système ?

Le système à points est vicié aux deux bouts. Lorsque vous versez votre cotisation, elle est transformée en points. Le point à une valeur, une valeur d’achat, mais cette valeur peut varier. Avec la même cotisation, on peut avoir plus ou moins de points d’une année sur l’autre. Ensuite à la sortie, au moment du départ en retraite, il y a une valeur de service du point qui elle aussi est variable. Votre voisin parti en retraite deux ans avant avec le même nombre de points n’a pas forcément la même pension. D’ailleurs, dans le projet de Jean-Paul Delevoye c’est très clair. C’est le gouvernement qui fait varier la valeur du point en fonction d’un certain nombre de critères économiques. Ce qui me fait dire que que la retraite devient une variable d’ajustement du budget.

Le gouvernement parle pourtant d’une réforme portant l’universalité sous couvert d’effacement des régimes spéciaux. En fait nous serions plutôt dans un système d’individualisation où aucun salarié ne disposerait plus des mêmes modes d’évaluation suivant l’âge, la carrière, la profession..?

Oui, concrètement, il y a beaucoup moins de solidarité dans ce système que notre système actuel par répartition. Par exemple, pour les femmes, dans le régime du secteur privé, chaque enfant donne droit à une bonification de huit trimestres dans le calcul des cotisations de chaque femme salariée. Ça disparaît totalement pour être remplacé par une majoration de pension de 5 % au moment du départ en retraite. Ce qui ne comblera pas ce que peut représenter huit trimestres de cotisation dans le système actuel.

Vous pouvez détailler ?

Il y a un petit truc vicieux. Quand l’enfant nait, on dit à la mère « vous avez droit à une majoration de 5% de votre retraite ». Mais il faut la prendre tout entière ou vous la donnez à votre mari parce que vous estimez qu’il va avoir une pension plus importante ou vous pouvez vous la partager. Ce choix doit être fait avant que l’enfant n’atteigne l’âge de quatre ans et sans pouvoir revenir en arrière même en cas de divorce. Le réflexe va donc être de se dire que le mari à un meilleur salaire, il aura donc une meilleure retraite et les 5 % seront plus intéressant à affecter sur sa retraite.

En cas de décès, comment évolue le système de réversion ?

Le rapport Delevoye propose que le conjoint survivant touche 70 % des revenus du couple. Ça peut être intéressant pour certains, pour d’autres moins. Le plus grave, c’est que vous ne pouvez la toucher qu’à partir de 62 ans, à partir du moment de la retraite et non pas à 50 ans, sauf erreur, dans l’ancien système.

Est-ce que vous estimez que revenir sur les bases d’une retraite pour tous à 55 ou 60 ans en respectant la pénibilité, avec des taux de remplacement de salaires sont encore possibles ? Est-ce que les chiffres donnés par le Conseil d’orientation des retraites (COR) sont compatibles ?

Les chiffres du COR sont crédibles. Le problème vient des hypothèses de départ pour les analyses du COR. Ils partent d’hypothèses où le niveau de chômage reste assez important par exemple. Ils partent d’une hypothèse où les différences salariales entres les femmes et les hommes subsistent. Tout ça pris en compte permettrait de faire face aux difficultés immédiates s’il y en avait. Mais il n’y en a pas. Le fonds de réserve des retraites, et celui des retraites complémentaires, dispose de 150 milliards d’euros ce qui permettra largement de faire face au déficit annoncé par le COR, entre 8 et 17 milliards.

Le problème n’est pas donc pas lié à la structuration de notre système de retraite mais à la prise en compte réelle des événements, de la conjoncture ?

Repartons de 1945, de la fondation de la sécurité sociale, à l’époque les caisses d’assurance maladie, les caisses d’allocations familiales, ou vieillesse... étaient toutes gérées majoritairement par des représentants des salariés. Si ce système est mis en place, la gestion par les salariés disparaît totalement. Le gouvernement prend totalement la main. Le système par points est sensé s’auto-réguler. Donc la variation du point se fait sans changer la loi. Jusqu’à aujourd’hui, à chaque fois que le gouvernement annonçait un déficit, il était obligé de passer par le Parlement pour modifier l’âge de départ en retraite ou autres. Plus rien ne l’y obligera avec le nouveau système. C’est la fin de la sécurité sociale, les travailleurs n’auraient plus leur mot à dire.