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Dans la manif de Montreuil, en Seine-Saint-Denis

On refuse de perdre sa vie à la gagner 

par Grégoire REMUND
Publié le 3 février 2023 à 14:20

Le 31 janvier, la mobilisation contre la réforme des retraites a été encore plus forte que la précédente, rassemblant près de 1,3 million de personnes selon les autorités (2,8 millions selon la CGT) dans toute la France, un record depuis 1995. Après l’appel lancé par le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, plusieurs mairies ont fermé leurs portes ce jour-là pour permettre à leurs agents de battre le pavé. Ainsi de Montreuil, ville communiste de Seine-Saint-Denis. Reportage.

Lens, Faches-Thumesnil, Paris, Issoudun (Indre), Saint-Pierre-d’Aurillac (Gironde), Fontenay-sous-Bois, Villejuif (Val-de-Marne), on pourrait encore en citer d’autres. Outre qu’elles sont de gauche (communistes ou socialistes), ces villes ont un autre point commun : mardi 31 janvier, pour permettre aux agents municipaux d’aller manifester contre le projet de réforme des retraites, elles ont fermé leurs portes. Ce faisant, elles ont répondu à l’appel lancé quelques jours plus tôt par Fabien Roussel, ce dernier exhortant « les maires à prendre symboliquement des mesures de solidarité envers le mouvement social ». À Montreuil (Seine-Saint-Denis), le message envoyé par le député du Nord et secrétaire national du Parti communiste a été reçu cinq sur cinq. Devant le parvis de l’hôtel de ville, des agents mais aussi des habitants vent debout contre la réforme se sont rassemblés dès midi sur invitation du maire communiste Patrice Bessac. FSU, CFDT, CGT… Les organisations syndicales ont bien sûr été de la partie. Tout comme les discours qui, avant le départ collectif pour la manifestation parisienne, se sont succédé sur le perron. « Alors que 72 % des Français sont contre la réforme, le gouvernement persiste dans sa volonté de reporter l’âge de départ à la retraite pour, dit-il, “assurer l’équilibre de notre système de retraite pour les années et les décennies à venir’’, a asséné le maire de Montreuil, Patrice Bessac. Il faudrait travailler plus, et donc allonger le temps de travail, parce que nous vivons plus longtemps. Mais dans quel état de santé ? Et pour quel métier ? On constate qu’à l’âge légal actuel de départ en retraite, c’est-à-dire à 62 ans, 25 % des plus pauvres sont déjà morts contre 5 % des plus riches. »

« Offensive anti-ouvrière »

Dans le cortège montreuillois, nombreux sont ceux qui ont retracé l’actualité de ces dernières semaines en matière de réforme des retraites. On a devisé sur la motion référendaire [dont on apprenait dans la journée du 31 janvier que c’était celle de l’extrême droite qui, après tirage au sort, avait été choisie pour être soumise au vote des députés, grillant la politesse à la Nupes]. Cet outil parlementaire vise à suspendre l’examen du projet de la réforme devant démarrer le 6 février dans l’hémicycle, afin de soumettre le texte à un référendum et ainsi rendre la parole au peuple sur ce choix crucial pour son avenir. On s’est félicité du succès de la pétition intersyndicale intitulée « Retraites : non à cette réforme injuste et brutale ! » qui, une semaine après son lancement en ligne sur change.org le 10 janvier, recueillait 400 000 signatures et en était à plus de 900 000 au 3 février. Encore échaudé par le fameux 49.3, on a en revanche maudit l’existence du 47.1, cet article méconnu de la Constitution qui donne la possibilité à la majorité de raccourcir la durée des débats au Parlement, et d’éviter ainsi l’obstruction.

Dans le cortège, Claude, intermittent du spectacle, revêt le costume de Mahakala, « une divinité tibétaine qui s’attaque aux mercenaires et aux corrompus ».
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Et, bien sûr, on a causé de la pénibilité au travail, un des enjeux centraux de la réforme des retraites. « Je fais un métier où on a beaucoup recours à la manutention. Scènes, stands, déménagements… on passe nos journées à porter du matériel, a confié Selim, encadrant au service « événement » à la Ville de Montreuil. Travailler jusqu’à 64 ans ? C’est évidemment inenvisageable. Certains de mes collègues sont déjà cassés arrivés à 55-60 ans, leur ajouter des années, c’est vouloir leur mort au travail. La retraite est une deuxième vie dont il faut profiter. Entre les petits-enfants et l’hôpital, le choix est vite fait. Cette réforme du gouvernement est une véritable offensive anti-ouvrière. » Les syndicats, de leur côté, estiment que la pénibilité au travail est encore loin d’être reconnue, et que les dispositifs existants ont été affaiblis depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, en 2017. Le gouvernement ne s’est pas contenté de supprimer le mot « pénibilité », il a aussi réformé son financement et retiré quatre facteurs de risque : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. « Vivre plus longtemps ne signifie pas forcément vivre mieux », faisait remarquer Selim. Qui dit vrai : en 2018, selon le ministère de la Santé, 23 % des Français souffraient d’une limitation physique lors de leur première année de retraite. Les plus touchés étant les ouvriers : 34 % d’entre eux sont contraints dans les activités de la vie quotidienne dès leur premier jour de retraite.

« Les femmes, grandes perdantes de la réforme des retraites »

Parmi les autres manifestants, Claude arborait un drôle de déguisement. « J’ai décidé de revêtir le costume de Mahakala, une divinité tibétaine qui s’attaque aux menteurs et aux corrompus, suivez mon regard…, souriait cet intermittent du spectacle. Je conteste le fait que les gens qui nous gouvernent fassent le spectacle à notre place nous autres comédiens. Il y a quelques années, Macron a traité les Français de “gaulois réfractaires au changement’’. Parmi les Gaulois que nous sommes, je joue le rôle du druide appelé à chasser les démons. » Roselyne Rollier, présidente de la Maison des femmes Thérèse-Clerc à Montreuil, était également très remontée. « Les femmes sont - comme souvent - les grandes perdantes de la réforme des retraites. L’allongement de la durée de cotisation à 43 ans va creuser l’écart entre celles et ceux ayant eu une carrière complète et les autres. Quatre femmes sur dix partent avec une carrière incomplète. Une fois en retraite, elles reçoivent environ 40 % de pension en moins que les hommes. » « Quel progrès à faire travailler les gens plus longtemps ?, s’est insurgé quant à lui Richard Delumbee, secrétaire de l’union locale CGT de Montreuil. Le sens de l’histoire n’est aucunement de perdre sa vie à la gagner. Au contraire, les luttes ouvrières et syndicales ont permis une baisse du temps de travail, qui a permis d’améliorer l’espérance de vie de la population. Pourquoi vouloir revenir en arrière ? »

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Île-de-France