Michelle Demessine

Un livre pour rallumer les étoiles et ouvrir l’espace du possible

Publié le 5 septembre 2019 à 23:14 Mise à jour le 6 novembre 2019

Liberté Hebdo : Patrick Robert, qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre qui ne s’inscrit pas vraiment dans vos choix habituels ? Quel lien en effet entre la militante politique Michelle Demessine et des personnalités comme Vahid Halilhodzic, Gervais Martel, la comédienne Jenny Clève ou le journaliste Christian Palka ?

Patrick Robert : J’aime écrire sur des gens qui révèlent un parcours atypique. C’est le cas de Jenny Clève, Christian Palka, ou d’autres que vous citez dans le domaine du football. Ce sont des gens qui ont du talent et qui racontent une histoire d’ascension sociale à travers des convictions fortes. Il est là le lien. Et puis, second aspect, j’avais envie de raconter un demi-siècle de l’histoire du parti communiste.

Michelle Demessine : Quand Patrick m’a fait la proposition, ce n’était pas dans mes projets. Je n’avais pas du tout envisagé une biographie. Autant cela ne me dérange pas de mettre en avant des causes. Mais pas ma personne. En plus, il s’agissait d’écrire un livre sur moi par quelqu’un qui n’est pas de ma famille politique. J’ai hésité et puis, avec le recul, je me suis dis que si cela peut servir, pourquoi pas. La cause de l’engagement, la cause communiste, la cause de ma classe sociale. Je suis fille d’un milieu ouvrier, j’en suis fière. C’est ce qui m’a toujours motivée. Alors, pourquoi ne pas raconter et pourquoi pas à travers un regard extérieur, avec sa vision.

Justement, le livre commence par cette phrase en forme d’aveu de l’auteur : « Je n’ai pas ma carte au parti communiste ». Et en même temps, il y a une phrase d’exergue empruntée à Isabelle Garo. Explications ?

PR : J’aurais pu être communiste, allez savoir. Je suis viscéralement de gauche, mais je suis observateur et non acteur. Cela étant, je nourris une sympathie particulière pour les élus et militants communistes. Je tire cela de mon expérience professionnelle dans la communication institutionnelle. Je les ai toujours senti très proches des gens. Par exemple, chez les maires communistes que j’ai fréquenté on sent toujours le souci de faire un maximum de bien aux administrés. Je regrette qu’il n’y ait plus un parti communiste puissant dont l’utilité saute aux yeux.

MD : La citation d’Isabelle Garo, c’est moi qui l’ai voulue. Elle a du sens pour moi : « Organiser et penser du même élan la contestation sociale et un avenir non capitaliste aussi incertain qu’indispensable, c’est cela le Communisme ». On a longtemps cru que la fin du capitalisme était une suite logique. Mon parcours, et ma génération, m’ont montré que ce n’est pas aussi simple. Mais le communisme est indispensable pour aller vers la justice et la liberté.

Le livre s’achève sur un échange avec des jeunes communistes. Que vouliez vous montrer ?

PR : Il s’agissait de montrer qu’il y a une relève. Le parti communiste, c’est aussi des jeunes qui ont leur vision, leur manière de voir, leur foi en l’avenir. Ils m’ont beaucoup surpris par leur niveau de conscience et leur combativité.

Michelle Demessine, vous commencez une carrière de syndicaliste très tôt, dans la future grande distribution. Pourrait-on aujourd’hui reconstruire un cheminement semblable ?

MD : C’est toujours possible. L’histoire de l’humanité, c’est celle de peuples qui résistent aux oppressions successives. Il est toujours possible de s’unir pour résister à l’oppression, d’unir dans la grande diversité pour résister à l’oppression et construire d’autres chemins. Mais le contexte est différent aujourd’hui de celui que j’ai vécu. J’ai eu la chance de naître à une époque particulière : la période de reconstruction après la Libération. Je deviens jeune salariée d’un pays en reconstruction, donc en évolution. Et le mouvement de 68 arrive très vite (j’ai 21 ans à l’époque). Je suis de la génération des trente glorieuses. Et puis, j’ai eu la chance d’être formée par des Résistants. J’ai beau coup appris d’eux. J’y inclus les mouvements féministes comme l’Union des Femmes de France.

LH : Mais le contexte actuel et l’individualisme ambiant ne sont-ils pas un frein énorme aux luttes ?

MD : Ce n’est pas l’individualisme qui gêne les luttes sociales. Quand votre salaire est aux trois quarts dépensé très tôt dans le mois, c’est dur. Ce qui bloque, c’est le changement de structure de l’emploi, c’est la manière dont est organisée la société, c’est la non possibilité de pouvoir se défendre aussi facilement qu’on a pu le faire.

C’était vraiment si facile ?

MD : J’ai toujours pensé que ma génération était une génération de la liberté. Est ce encore possible aujourd’hui ? Un récit du possible que l’on découvre d’une manière ou d’un autre chez ceux qui étaient avant vous, ça ouvre les horizons. En 1976, je deviens responsable de l’Union des femmes française dans le Nord. C’était 5000 femmes ! Quand j’ai ouvert les dossiers, deux choses m’on marquées : auparavant, les militantes des comités féminins parvenaient à diffuser 25 000 exemplaires de journaux par semaine. De la même façon, à la Foire commerciale de Lille, nous avions organisé un rassemblement de 50 000 femmes. Mon enthousiasme est né de ce que les autres ont fait avant moi.

Vous adhérez au Parti communiste en 1970, quelques années avant le 22ème Congrès qui signe la fin de la dictature du prolétariat. Comment l’avez-vous vécu ?

MD : Je ne regrette rien. Ma génération, dans la manière dont elle est arrivée en politique, a fait bouger les choses. Parce que nos engagements n’étaient pas que théoriques. C’était des engagements de terrain. Quand on est issu d’un milieu ouvrier textile, on ne passe pas un piquet de grève comme on traverse la rue sans regarder. Quand cela s’est présenté, pour moi, j’ai décidé de ne pas rentrer dans l’entreprise. Mais il était important que je ne le fasse pas seule. Alors, j’ai convaincu les autres de se joindre à la grève.

A votre époque, le parti proposait une solide formation politique.

MD : Oui. J’ai suivi la formation de quatre mois. Ma grille de lecture, c’est le marxisme. C’est très fort pour notre vie personnelle. Cette lecture m’a aidée tout le temps, dans ma vie politique. Mais aussi lorsque j’ai eu un enfant handicapé. Cela m’a fait comprendre que toute transformation est possible.

Quelle utilité souhaitez-vous pour votre livre ?

MD : Je ne suis pas quelqu’un d’exceptionnel. Il faut savoir rester soi-même. Quand j’étais sénatrice, on m’avait recommandé de faire attention au « salon doré ». Alors je suis restée moi-même. Et quand il m’a fallu prendre des décisions difficiles, au Sénat ou au gouvernement, j’ai su aller les chercher au fond de moi-même. Si ce livre peut servir à ouvrir l’espace du possible pour les militants et les autres, j’en serai heureuse.

Propos recueillis par Philippe ALLIENNE

Michelle Demessine - « Une vie à rallumer les étoiles ». Par Patrick Robert - Éditions Nord Avril. 20€.