Il ne s’agit « pas simplement d’une réforme » mais d’une « cause nationale », a déclaré Emmanuel Macron lors de sa visite à Saintes (Charente-Maritime), le 4 mai dernier. C’est ainsi que le président de la république a présenté le projet du gouvernement pour les lycées professionnels (LP), après plusieurs mois de teasing. Douze mesures sont annoncées pour « faire du lycée professionnel un choix d’avenir pour les jeunes et les entreprises » avec comme mots d’ordres principaux une allocation de stage versée par l’État, la fermeture de formations « non insérantes » ou encore la mise en place d’un « pacte » des personnels et la mise en place de « bureaux des entreprise » dans chaque établissement. Le gouvernement a ainsi proposé 1 milliard d’euros dont 400 millions pour les gratifications de stage, 285 millions pour le pacte et 150 millions pour la mise en place des bureaux des entreprises. « La précédente réforme de 2019 ne donne aucun bilan, si ce n’est la perte d’heures d’enseignements », assène Frédéric Allègre, professeur de dessin industriel à Soissons et cosecrétaire du Snuep-FSU pour l’académie d’Amiens. Il appuie : « Nous avions auparavant de 12 à 14 heures d’ateliers contre 9 actuellement. Les matières générales n’ont pas échappé à ces suppressions. » Dans son document de décryptage des 12 mesures gouvernementales, le Snuep-FSU détaille la création de trois nouveaux dispositifs de prévention des risques de décrochage après et pendant le lycée.
Le projet vise l’employabilité immédiate des élèves
Au-delà du contenu programmatique de ces nouveautés, le syndicat dénonce la volonté du gouvernement d’« externaliser le décrochage » dans la seule « visée d’employabilité et non de sécurisation des parcours scolaires de élèves ». Il alerte sur le fait que le lien qui sera fait entre les établissements et les dispositifs seront celles et ceux qui signeront le « pacte », tout comme pour les enseignants qui mettront en œuvre les partenariats annoncés avec France Travail, le futur nom de Pôle Emploi. Le Pacte enseignant, « bras armé de la réforme » selon le chef de l’État, est un ensemble de nouvelles missions rémunérées, au volume horaire annuel de 90 heures pour quatre des sept missions proposées aux personnels, les trois dernières étant non quantifiées. « Il ne s’agit que de primes défiscalisées, et non de salaire. Pas de cotisations sociales, ni pour la retraite », de l’avis des responsables syndicaux. Fabien Mélanie, secrétaire du Snuep pour l’académie d’Amiens abonde : « Ce pacte casse notre fonction ainsi que les collectifs de travail. Les pactes sont limités, les enseignants n’y auront pas tous accès. C’est une division des équipes, au détriment des femmes et des élèves en situation de difficulté. » Les conditions de travail et les logiques managériales semblent inquiéter de la même manière : « Les salaires n’évoluent pas et le coût de la vie augmente. Si nos collègues rentrent dans ce pacte annuel pour 600 euros par mois, ils n’ont plus envie de le quitter. Le pouvoir d’achat des enseignants a déjà chuté de 25 à 30 % depuis 2000. » Les deux responsables s’accordent au même titre que l’intersyndicale. Ils appellent à refuser de signer le pacte, revendiquent l’écoute des agents et la consultation de leurs organisations, insistent sur le fait de remettre les élèves au coeur du sujet, d’abonder en heures d’enseignement, et veulent former non plus de la main d’œuvre gratuite pour les entreprises mais de vrais citoyens.
TémoignageZoé Desbureaux, professeure de français langue secondaire (FLS), à Amiens
C’est un nouveau coup de massue pour les femmes. Beaucoup de nos collègues sont à temps partiel, beaucoup prennent un congé maternité, cela impacte leur capacité à signer un pacte. D’autant plus si elles sont mères célibataires, imaginez la difficulté d’assurer son service normal, je ne vous parle pas du service supplémentaire du Pacte. Ce sont la charge mentale et le travail domestique des femmes qui sont passés sous silence. Aujourd’hui, les profs d’ateliers sont essentiellement des hommes. Il y a une grande disparité entre l’enseignement pro et le général : c’est la double peine lorsqu’on est du côté général car toutes les heures d’accompagnement spécifique seront réalisées par les profs de français et de maths, donc essentiellement des femmes. De même pour les documentalistes, souvent oubliées, souvent des femmes. Elles se sont battues pour être reconnues dans le Grenelle de l’Éducation, et aujourd’hui elles n’apparaissent même pas dans le Pacte. Même situation chez les collègues CPE, dans quel cadre se feront les remplacements ? Ce que je souligne donc c’est le nombre conséquent d’incertitudes, on ne navigue même pas à vue. Dans mon lycée, nous accueillons un public très divers : mineurs isolés, non accompagnés et/ou relevant de l’aide à l’enfance et des élèves allophones pour lesquels la prise en charge est assurée par les enseignants de FLS dans les classes communes. Les lycéens crèvent la dalle et ils ont besoin d’argent. Est-ce une solution de leur proposer de travailler pour une allocation prétendument versée par l’entreprise, alors que celle-ci émane de l’État ? Notre proposition c’est une allocation d’autonomie qui leur permettrait de vivre et de ne pas les priver des heures d’enseignement qu’ils ont besoin pour comprendre la société française. L’État dote plus les CFA privés alors que les lycées pro ont de meilleurs résultats. Avec toutes les suppressions annoncées, ce n’est plus les formations qui s’adaptent au bassin d’emploi, mais les élèves. Et quand on est précaire, on a pas le choix. Au fond le but de cette réforme, c’est de prendre les plus fragiles en otage, et d’en faire des pousseurs de brouette, des grouillots corvéables à merci.
Zoé Desbureaux, professeure de français langue secondaire (FLS), à Amiens
C’est un nouveau coup de massue pour les femmes. Beaucoup de nos collègues sont à temps partiel, beaucoup prennent un congé maternité, cela impacte leur capacité à signer un pacte. D’autant plus si elles sont mères célibataires, imaginez la difficulté d’assurer son service normal, je ne vous parle pas du service supplémentaire du Pacte. Ce sont la charge mentale et le travail domestique des femmes qui sont passés sous silence. Aujourd’hui, les profs d’ateliers sont essentiellement des hommes. Il y a une grande disparité entre l’enseignement pro et le général : c’est la double peine lorsqu’on est du côté général car toutes les heures d’accompagnement spécifique seront réalisées par les profs de français et de maths, donc essentiellement des femmes. De même pour les documentalistes, souvent oubliées, souvent des femmes. Elles se sont battues pour être reconnues dans le Grenelle de l’Éducation, et aujourd’hui elles n’apparaissent même pas dans le Pacte. Même situation chez les collègues CPE, dans quel cadre se feront les remplacements ? Ce que je souligne donc c’est le nombre conséquent d’incertitudes, on ne navigue même pas à vue. Dans mon lycée, nous accueillons un public très divers : mineurs isolés, non accompagnés et/ou relevant de l’aide à l’enfance et des élèves allophones pour lesquels la prise en charge est assurée par les enseignants de FLS dans les classes communes. Les lycéens crèvent la dalle et ils ont besoin d’argent. Est-ce une solution de leur proposer de travailler pour une allocation prétendument versée par l’entreprise, alors que celle-ci émane de l’État ? Notre proposition c’est une allocation d’autonomie qui leur permettrait de vivre et de ne pas les priver des heures d’enseignement qu’ils ont besoin pour comprendre la société française. L’État dote plus les CFA privés alors que les lycées pro ont de meilleurs résultats. Avec toutes les suppressions annoncées, ce n’est plus les formations qui s’adaptent au bassin d’emploi, mais les élèves. Et quand on est précaire, on a pas le choix. Au fond le but de cette réforme, c’est de prendre les plus fragiles en otage, et d’en faire des pousseurs de brouette, des grouillots corvéables à merci.