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Michel Bernard, un ouvrier devenu champion

par JEAN-JACQUES POTAUX
Publié le 18 février 2019 à 16:14

Michel Bernard, « le petit métallo d’Anzin », plusieurs fois champion de course à pied, vient de mourir à l’âge de 87 ans. Contemporain d’Alain Mimoun et Michel Jazy, il a commencé à courir « à la maraude » dans les vergers de Sepmeries, près de Valenciennes. Portrait.

« Au fond, quand on y réfléchit bien, ma foulée me ressemble. Elle est rageuse, hargneuse, anguleuse. Elle est ce que je suis  », écrivait Michel Bernard dans son autobiographie, La rage de courir [1]. On pourrait en dire autant de son écriture qui tient du récit oral, comme si la mise en forme avait été précédée d’une longue interview dans laquelle le champion aurait pu revivre par la narration les grands moments de sa carrière et de sa vie.

Le récit de chaque épreuve, de chaque événement qui marque la vie sportive s’empreint de cette rage qui ne caractérise pas seulement la foulée. Le coureur personnage avait du caractère comme le narrateur qui prend parfois une certaine distance, du recul, une attitude de lucidité par rapport à la course ou à la vie passée. Ainsi cette appréciation sur un moment de la jeunesse : « A l’âge de seize ans, le brevet élémentaire en poche, j’ai cru malin de quitter l’école  ». Le style, c’est l’homme.

On aime un champion parce qu’il nous émeut, parce que son existence nous parle. Les performances sont une condition nécessaire, mais pas suffisante. C’est la renommée, la légende qui compte par dessus tout. La vie de Michel Bernard est le miroir de l’histoire de notre pays vert, qui va de Sepmeries à Raismes et sur lequel, à partir du charbon, des usines furent construites comme celle de Vallourec-Anzin.

Michel Bernard (au centre), en 1963. (Photo Archives nationales néerlandaises - Nationaal archief ANeFo 1945-1989)

Au commencement était la tragédie puisque son père fut tué pendant la guerre, ce que la mère et les deux enfants apprirent un soir d’hiver 1941. L’histoire semblait se répéter puisque ce père avait été orphelin, perdant sa mère d’une jaunisse pendant la guerre 14-18. Ce père absent ne fut jamais bien loin. « Mon comportement en sport et en course, je suis certain que Pierre Bernard l’aurait aimé  », confiait-il.

Son père était artisan, maréchal ferrant, et tenait à son indépendance. On en retrouve la trace dans le comportement du fils envers ses entraîneurs, François Coreau ou Robert Bobin. Il était capable de prendre un congé sans solde, de réaliser parfaitement son plan d’entraînement, puis de quitter l’hôtel pour aller visiter Prague la nuit la veille d’une compétition. On put le voir aussi s’entraîner dans les parcs et les rues de New-York en provoquant des problèmes de circulation.

Voleur de pommes

Enfant de Sepmeries où la nature poussait à la curiosité, c’est la désobéissance qui lui donna envie de courir : « Mes premières courses, si on peut les appeler ainsi, je les ai faites dans les vergers de Sepmeries avec les autres gosses du village. Nous allions à la maraude, et il fallait fuir au plus vite quand les paysans nous prenaient en chasse. Mais il faut aller plus loin, pour devenir un champion. Il faut de l’entraînement, courir dans le village. Quitte à passer pour quelqu’un d’étrange, autant en rajouter un peu et déclarer à une vielle dame qu’on est poursuivi par les gendarmes. »

Plus tard, il travaillera le jour à l’usine Vallourec et courra le soir sur le parcours qu’il aura lui-même créé dans la forêt de Raismes Saint-Amand. Le plaisir fut présent tout au long de sa carrière et de sa vie, grâce aux victoires et aux records, mais aussi et surtout grâce à l’effort, à ce dépassement de soi-même dont il semble avoir fait la valeur fondamentale dans le sport et dans la vie.

Mais il y eut aussi le plaisir de l’entraînement qui lui laissa de très beaux souvenirs : « Vous êtes passés cent fois devant cet arbre sans vous arrêter et puis vous le découvrez de l’autre côté, différent et superbe ».

L’autobiographie de Michel Bernard avait été préfacée par Michel Jazy, ami et concurrent.

Athlète international, Michel Bernard a remporté plusieurs titres de champion de France, recordman du monde et d’Europe... L’ancien métallo d’Anzin s’est aussi beaucoup investi dans le développement du sport - il notamment a présidé la Fédération Française d’Athlétisme et la Ligue régionale du Nord-Pas de Calais -, et dans sa commune d’adoption, dont il fut l’adjoint aux sports, et dont le fils Pierre-Michel est aujourd’hui le maire. En 2018, un complexe sportif d’Anzin a été porte le nom de Michel Bernard.

Au moment où il nous quitte, on pourrait dire de lui ce qu’il écrivait de son homologie tchécoslovaque Emil Zatopek : «  un homme tout simplement, et aussi un être très attachant (…) Je le vois encore, son masque douloureux, la tête penchée, le visage déchiré, marqué par la souffrance. On se dit : "Il n’ira pas bien loin. Il est sans force, c’est visible. Et il se tient. Il traîne sa carcasse sans faillir Il pulvérise les records du monde"  ». Adieu, Michel. On t’aimait bien, tu sais.

« Le parcours exceptionnel d’un ouvrier devenu champion »

De nombreuses personnalités ont salué le parcours de Michel Bernard. Parmi elles, le maire de Marly, Fabien Thiémé (PCF), qui a lui aussi débuté sa carrière à l’usine, comme l’ancien athlète, qui se souvient de « son franc-parler et (de) son grand cœur  ». Laurent Degallaix, président de Valenciennes Métropole, évoque « une personne formidable et généreuse, qui m’a guidé quand j’étais jeune élu, qui m’a conseillé  ». « Une part de ma jeunesse qui s’en va  », complète l’élu centriste. « Il a été l’honneur du sport français et toute sa vie, il a transmis sa passion aux jeunes, nombreux, qu’il a formés », rapporte Alain Bocquet, président (PCF) de la Communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut, qui évoque « un homme déterminé, franc et passionné  ». « Malgré une notoriété grandissante, jamais Michel Bernard ne se laissa griser ni détourner de ses efforts. Car "chaque matin, le dieu du stade revêt son bleu de travail", comme le soulignait Pierre Desgraupes, grand journaliste de l’ORTF  », souligne Fabien Roussel, député (PCF) du Nord et secrétaire national du PCF. Ce dernier, qui salue aussi « le parcours exceptionnel d’un ouvrier devenu champion », met également en avant « le rôle important des sections sportives au sein des entreprises. C’est dans ce cadre que Michel Bernard a pu révéler ses qualités d’athlète et de champion  ».

Notes :

[1Michel Bernard, La rage de courir, vingt cinq années de course à pied, Calmann-Lévy, coll. « l’Heure du sport »