Andrea Camilleri, le pape du polar italien

par PIERRE GAUYAT
Publié le 26 juillet 2019 à 13:59

L’Italie a la particularité d’accueillir deux papes : celui de l’Église catholique et celui de la littérature policière, Andrea Camilleri, décédé le 17 juillet à quatre-vingt-treize ans. Auteur reconnu du polar italien, il a créé, en 1994, le personnage du célèbre commissaire Salvo Montalbano qui exerce son art de la détection au commissariat de Vigàta, ville imaginaire de Sicile, bien que très réaliste.

Montalbano doit son nom à l’auteur de polar barcelonais Manuel Vázquez Montalbán, disparu en 2003, et n’est pas sans parenté avec le commissaire Maigret, de Georges Simenon. Mais Montalbano, malgré ces parrains prestigieux, est un personnage romanesque à part entière avec un imaginaire propre.

Dans sa grande générosité, Camilleri a créé autour de lui une série de personnages secondaires comme Catarella, l’inénarrable standardiste dyslexique qui massacre allègrement tous les noms propres ; Mimì Augello, son second, invétéré coureur de jupons ; Fazio, son second bras droit, efficace et discret ; le dottor Pasquano, médecin légiste, dont la grossièreté ferait sursauter un cadavre de mafieux sur la table de dissection ; sans oublier, Livia, sa fiancée de Gênes, autant dire du Grand Nord.

Montalbano crève l’écran

Dès le premier opus, La forme de l’eau, les romans sont rédigés dans un style très particulier, fait d’italien mâtiné de termes et de constructions syntaxiques siciliennes, que son traducteur français, Serge Quadruppani, s’emploie à rendre en reproduisant le terme sicilien et en le traduisant en français dans le même mouvement de la phrase. Les adaptations télévisées dans lesquelles Luca Zingaretti incarne Montalbano ont, elles aussi, contribué à la notoriété du commissaire dans tous les pays d’Europe.

Les enquêtes de Montalbano, dont vingt-sept traduites en français pour le moment, interrogent la société italienne contemporaine avec des thèmes comme la Mafia, les magouilles immobilières, les politiciens corrompus, le racisme, les violences faites aux femmes ou aux enfants et, plus récemment, le sujet douloureux de l’inceste. Mais si Camilleri dénonce les travers de la société italienne, il ne s’acharne pas sur ses personnages, malheureux paquets ballottés par la vie et les désordres sociaux. Homme de gauche, il ne cachait pas ses inquiétudes devant les dérives de la vie politique italienne dominée par l’extrême droite, lui qui est né en 1925, sous le fascisme mussolinien.

Camilleri a commencé à écrire dans les années 1940, puis a mené une carrière de metteur en scène de théâtre et de télévision au cours de laquelle il a adapté les Maigret (tiens, tiens…) pour la RAI. Le succès immense des enquêtes du commissaire Montalbano peut avoir tendance à occulter ses excellents romans non policiers, notamment historiques, qui se déroulent le plus souvent dans sa Sicile natale. Près de quarante romans et recueils de nouvelles ont été traduits en français par Dominique Vittoz et Serge Quadruppani. Parmi eux, on peut citer La Concession du téléphone qui se passe à la fin du XIX e siècle sur fond de jeux d’influence pour obtenir une ligne téléphonique. Le roman est irrésistible et sa composition très originale car en partie grande épistolaire.

Un écrivain ne meurt jamais tout à fait, on peut toujours relire ses œuvres et, dans le cas de Camilleri, il reste plusieurs dizaines de romans qui n’ont pas encore été traduits dans notre langue, ce qui laisse augurer de bons moments en sa compagnie et celle de ses personnages, qu’ils soient attachants ou monstrueux.