Il fut un temps lointain où le plumage du corbeau était d’un blanc immaculé. Il vira au noir de jais, châtiment qui lui fut infligé en raison de ses désobéissances, mensonges et de son insolence. Michel Pastoureau, historien spécialiste des blasons, des couleurs et de bestiaires, ayant par ailleurs étudié l’ours et le cochon, nous entretient du corbeau, troisième volume d’une série animalière à succès (loup et taureau). Le corbeau, l’ours et le loup sont les trois animaux les plus riches sur les plans mythique, onirique et symbolique. Autour d’une vingtaine d’animaux, sauvages ou domestiques, s’est établi un large réseau de mythes, légendes, superstitions et rêves, qui a généré une multitude de créations littéraires et artistiques. L’histoire culturelle est nécessairement une histoire sociale, celle des représentations ambivalentes collectives propres à une société donnée qui concernent les « systèmes de valeurs et les modes de sensibilité ». Le corbeau fut vénéré dans les sociétés anciennes, attribut du dieu soleil Apollon, médiateur entre le monde des vivants et celui des morts. Chez les peuples celtes, germains, scandinaves et slaves, il était l’objet de cultes, rites et pratiques fétichistes.
Corbeau de malheur… enfin blanchi
Envoyé par Noé pour voir si la décrue du Déluge a lieu, il s’attarde en se repaissant de cadavres. Il a failli et devient dans l’imaginaire judéo-chrétien « l’oiseau impie », le suppôt de Satan et des puissances occultes. Diabolisé, il est chargé de tous les vices : nuisible, charognard, inquiétant et mortifère. Son plumage noir et son croassement éraillé et lugubre permettent à l’Église de le présenter comme un oiseau de malédiction, de mauvais augure et de déclencher une guerre qui va durer jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Des massacres furent même organisés et des primes à la destruction octroyées. Pour étayer ce renversement, Michel Pastoureau analyse mosaïques, chapiteaux sculptés, vitraux de Chartres, tapisserie de Bayeux, bibles, fables, contes, poèmes, tableaux comme ceux de Oudry, Caspar David Friedrich, Van Gogh, Odilon Redon... Il évoque le film de 1943 de Clouzot Le Corbeau, envoi de lettres anonymes, sinistre réalité dans la France occupée, contagion de la délation et effets funèbres de la rumeur. L’attaque des humains par toutes sortes d’oiseaux qui se sont regroupés (film d’Hitchcock, 1963), est à mettre en relation avec les traumatismes anciens et les névroses de l’héroïne. Le corbeau a été revu et corrigé. Se fondant sur les dernières découvertes scientifiques, l’auteur indique que, depuis une trentaine d’années, le noir volatile tient sa revanche. Son intelligence, déjà signalée par les Grecs et les Romains, le place en tête de la liste des animaux. Ses capacités cognitives et sa prodigieuse mémoire (neurones plus nombreux et connexions courtes, donc plus rapides, a-t-il précisé lors d’une émission sur France Culture) le mettent au niveau de l’être humain. Que Michel Pastoureau nous donne, il en a l’intention, une étude sur le renard, l’aigle, le cerf, l’âne et le coq, extrêmement vivante, remarquablement informée et jamais pédante, comme celle sur ce noir corvidé.
Éditions du Seuil, 160 pages, 80 illustrations, 19,90 €.