Il aurait eu cent ans le 10 mars

Boris Vian, l’homme aux cent visages

par Franck Jakubek
Publié le 23 mars 2020 à 16:23

Combien d’années faut-il pour faire un grand écrivain ? Aucun ingénieux ingénieur ne s’est encore penché sur le sujet. En à peine 39 ans, Boris Vian a prouvé qu’il était parmi les meilleurs de son siècle. Une carrière fulgurante qui commence dans la vie de château, à Ville d’Avray, dans un milieu bourgeois aisé. La fortune familiale se perd au contact de la crise des années 30. Qu’importe, la famille déménage dans la maison du gardien et loue le cossu domicile à la famille Menuhin, dont le fils Yehudi est le futur violoniste virtuose. Les voisins s’appellent Rostand, pas moins. Un univers qui fait baigner le petit Boris dans les Arts très tôt.

Il sera le premier à faire sonner le jazz en France. Y compris sous l’Occupation. Réformé à cause d’une maladie cardiaque, il entre à l’Afnor une fois son diplôme d’ingénieur en poche. Marié, avec deux enfants, il multiplie les métiers après la Libération. Traducteur ou journaliste, il brûle la vie par tous les bouts. Jouant la nuit de la trompette dans les caves de Saint-Germain et courant la journée après la création. Pièces de théâtre, opéras ou nouvelles, le champ lexical est extrême- ment large pour celui qui souhaite d’abord que soit reconnu son talent d’écrivain.

Il signe des centaines de chansons pour des interprètes comme Patachou, Serge Reggiani ou Magali Noël, et, poussé sur scène, se lance lui-même dans la chanson au début des années 50. Gainsbourg dira même que voir Vian sur scène l’a poussé à faire de même. Il sera le seul chanteur à donner au public une chanson « pro- civile », le Déserteur à la fin de la guerre d’Indochine. Ami des plus grands, de Prévert à Greco, c’est son cœur qui lui fit défaut avant ses 40 ans. Avant, il nous aura donné à entendre le premier rock français, musique qu’il n’aimait guère. Et nous légua le « tube ». Son génie inventif laisse en mémoire des lecteurs de L’Écume des jours le pianocktail, que personne n’a encore réussi à créer pour de vrai.

Quelques dates repères

1920 : naissance le 10 mars à Ville d’Avray (Seine et Oise)

1939 : est admis à l’École Centrale

1942 : entre à l’Association française de normalisation (Afnor)

1947 : parution de J’irais cracher sur vos tombes

1949 : sortie de L’écume des jours chez Gallimard

1953 : s’installe cité Véron à côté de chez les frères Prévert

1954 : chante « Le déserteur » en pleine guerre d’Indochine

1956 : écrit le premier rock français pour Henri Salvador

1959 : décède le 23 juin lors de l’avant-première de J’irais cracher sur vos tombes