Ruban intime au Musée d’art et d’industrie de Saint-Étienne

Cacher, blasonner, sublimer, soulager le corps

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 23 juillet 2021 à 11:52

L’ouvrage retrace l’histoire des dessous féminins et masculins du 18e siècle à nos jours et l’épopée de la rubanerie stéphanoise.

1948, Yvette Giraud chante « Ma guêpière et mes longs jupons... Des dessous qui laissent voir/Mille choses blanches et roses/Dans un frou-frou de satin, de linon  ». Littérature et peinture sont friands de rubans. C’est au cours de la nuit que Nemours voit sans être vu la Princesse de Clèves nouer des rubans de même couleur que les siens, aveu d’amour. Voyez les tableaux de De Troy, Boucher, Fragonard, Ingres, Monet et celui de Manet Olympia, 1863 : le fin ruban d’une « noirceur de jais » noué au cou, mieux qu’un grain de beauté, révèle la blancheur de son corps nu selon Michel Leiris. Le ruban, attribut féminin par excellence ? Que nenni ! Prenez les pièces de Molière : Don Juan, Cléante dont se rit Harpagon, « L’homme aux rubans verts », le Misanthrope. Dans le chapitre Rêveries dans le vestiaire des Lettres, Paul Kompaniez montre que sous l’Ancien Régime, « la ligne de partage ne se situait pas entre le masculin et le féminin mais entre le peuple qui possédait peu de rubans et une fraction de la société privilégiée qui raffolait de passementeries ». Robuste toile de chanvre et toile fine.

Corps accords, l’épure merveille

Guêpières de Chantal Thomass, soutien-gorge Lise Charmel, déshabillé Franck Sorbier, un affriolant peignoir en macramé de rubans rouges, lingerie fine Aubade... C’est ainsi que la femme est femme pour les créateurs des maisons de haute couture qui, en donnant du mouvement, de la vie à des objets inertes, élèvent la femme au rang d’objet de luxe. Le féminin n’est-il bibelot de séduction grandeur nature, apparat érotique ? Michel Rautenberg poursuit l’analyse sur le thème de L’intimité marchandise. Le commerce des émotions. L’affiche Attendre le dénouement (Aubade) « se joue de la voracité du regard pour l’y prendre au piège ». Visions fugitives d’une élégance mise à nu, mise en lumière. Il est d’autres enjeux : la découverte de fibres nouvelles a permis de libérer le corps, le laisser respirer. On assiste toujours à ce chassé-croisé entre les innovations techniques, les choix esthétiques et l’évolution de la société qui, de tout temps, a instauré des règles, décidé ce qui est décent ou indécent, allant jusqu’à brider le corps (brassières compressives). Le sous-vêtement (le mot a été remplacé par celui de lingerie) en relation avec l’anatomie désigne le genre (Ruban intime. Affaire(s) de corps, affaire(s) de genres). Des créations ont mille raisons de plaire à la gent masculine, élaborées spécialement comme l’annonce la publicité Valisère concernant les slips, pour « assurer l’aisance des mouvements, le confort et l’élégance recherchés par l’homme moderne  ». Le sous-vêtement masculin n’est pas exempt d’une dimension quelque peu narcissique : miroir de la personnalité, dernière garniture de séduction, il doit associer le fonctionnel, l’aisance et l’allure moderne, jeune. Mais il est désavantagé par rapport à son homologue féminin, l’offre est moins étoffée et l’originalité n’est pas toujours au rendez-vous.

Art industriel

Les auteurs, une dizaine autour de Sylvain Bois, ne se sont pas limités à mentionner les pièces exceptionnelles, les objets esthétiquement séduisants. Tout en dévoilant le rapport à l’intime et à la beauté, ils ont donné à voir ceux dotés d’un poids culturel, historique et symbolique. Abordant les aspects techniques, ils ont étudié le rôle majeur joué par les entreprises de rubanerie de la région stéphanoise en liaison avec l’essor de la soierie lyonnaise, diversité des métiers : passementiers à domicile puis passage progressif du travail à façon dans les usines et ateliers. Tableaux, gravures, photographies, papiers à en-tête, encarts, affiches et catalogues publicitaires posent les jalons de cette épopée à fleur de peau. L’utilitaire et l’agrément, le sexuel et le sociétal... rien n’a été oublié dans cet ouvrage somptueux de raffinement et d’érudition à la découverte des rites et pratiques de la beauté féminine et dans une moindre mesure de la masculine, posant la question de l’intime aujourd’hui.

Ruban intime, co-éditions courtes et longues et Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne, 127 pages, 117 illustrations, 22 €. Exposition jusqu’au 14 novembre 2021.