Clowns ! leur histoire racontée par Pascal Jacob

Divertir, émouvoir et contester

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 29 décembre 2021 à 16:59

Aujourd’hui, de la scène à la piste, de la rue à l’hôpital, féminin, social ou politique, le clown est partout !

Avant qu’un cirque ne dresse son chapiteau, les affiches où figure souvent le clown ont essaimé dans la ville. Certains disent que le cirque se meurt ! Agonisant ? Non, bien vivant, pour preuve le Festival mondial du Cirque de demain programmé par Arte le 18 décembre dernier [1]. La féerie est toujours au rendez-vous : acrobates, jongleurs, contorsionnistes, équilibristes sur fil et clowns… Pour Pascal Jacob, le jeu clownesque est la « synthèse qui tient à la fois de la ruse de Renart, des facéties de Till l’Espiègle et de la finesse de Nasr Eddin Hodja, le jester turc », ingénu et faux naïf. L’auteur remonte à l’aube de l’humanité, à la première glissade, réelle ou feinte et dresse la généalogie du clown, une série de mises en perspective. Tomber pour faire rire, la farce médiévale en use mais elle ne se prive pas de tutoyer le blasphème et la trivialité. Avec la Commedia dell’arte, survient Arlequin qui va traverser les siècles jusqu’à se retrouver dans les Ballets russes. À Paris, sur le Boulevard du crime, le mime attire les foules (on se souvient de Jean-Louis Barrault dans Les Enfants du Paradis de Marcel Carné). Quittant l’Italie pour Londres, Grimaldi défie les autorités et bouscule les conventions sociales. Être clown pour dire l’état du monde, tel qu’il est sans fard, ni mesure. Guignol, marionnette à l’origine insolente et obscène, l’invective à la lèvre. Lorsque naît l’Auguste, le clown se dédouble. Les prestations des clowns, fondées sur l’accoutrement et le maquillage, deviennent sportives : numéros équestres, danses sur corde, acrobaties, cascades d’exploits et de claques, tandis qu’aux Folies Bergère, elles sont amplifiées d’effets magiques.

Le clown Pipo, Barnum’s Kaleidoscape, Detroit, MI, 2000.
© Christophe Raynaud de Lage

Sous le signe de l’exigence

Le monde des clowns n’a pas de secrets pour l’auteur, complété et vivifié qu’il est par un travail de synthèse qui magnifie ce qu’il y a d’humanité et d’humanisme chez ces merveilleux « amuseurs » comme Grock qui a connu une immense gloire dans les années 1940-50, Bilboquet, Achille Zavatta, le plus populaire, les Fratellini en solo ou en trio, Buffo… Pascal Jacob opère un crochet par le cinéma avec Laurel et Hardy, les Clowns de Fellini, ceux du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine et évoque la création du Prato dans le quartier populaire de Moulins Lille par Gilles Defacque, Romy Coutteure et Alain d’Haeyer, « un miroir du temps et du monde ». Il n’a cessé de garder contact avec cette figure qui peut changer de registre à l’envi, métamorphoses à l’intarissable inventivité : drolatique, fantasque, grotesque, attendrissante, caustique, contestataire… Au départ bienveillant, farceur, le clown peut virer vers le dramatique, voire l’inquiétant Joker ou devenir tueur comme chez Stephen King. Mais c’est surtout la dimension de féerie désopilante, bariolée, tonifiante qui l’emporte, non dépourvue de sens poétique, cette poésie de la vie que l’auteur met en relief à chaque page. C’est ainsi que le clown s’est donné un rôle de thérapeute, les Chocolat, Fratellini et autres ont régulièrement joué pour des enfants malades ; depuis les initiatives humanistes et sociales se sont multipliées.

Yann Gaël Elléouët et Sylvain Decure, Chocolat clown nègre de Gérard Noiriel, mise en scène de Marcel Bozonnet, Maison de la culture d’Amiens, 2012.
© Christophe Raynaud de Lage

Élégance et maîtrise

L’ouvrage, abondamment illustré (peintures, illustrations, affiches que l’on revoit avec grand plaisir et documents inédits provenant des collections de la BNF, avec en contrepoint les photographies contemporaines de Christophe Raynaud de Lage, vient enrichir un domaine défriché depuis une vingtaine d’années. Pour raconter une histoire deux fois millénaire, il fallait un passionné à l’immense culture. Floraison de découvertes, écriture d’une allégresse entraînante, agrément de lecture, telles sont les qualités de cette généalogie d’un personnage hors du commun qui n’a pas d’équivalent en français, le lecteur y trouvera tout l’essentiel et nettement plus. Peu de pages laisseront le spécialiste indifférent pendant que le simple amateur sera constamment séduit.

Éditions du Seuil et BNF, 180 pages, cartonné, 24,50 x 31,50 cm, 45 €.

Dessin préliminaire de Georges Coursat, dit Sem (1863-1934), d’une affiche pour la revue des Folies Bergère, 1902, BnF, Arts du spectacle.

Notes :

[1Rediffusion prévue vendredi 31 décembre à 15 h 35 sur Arte.