La vie secrète de JPM (saison 2)

Épisode 4 : « L’instinct canin »

Publié le 27 novembre 2020 à 15:18

Dans l’épisode précédent, JPM s’attirait les reproches et la pitié de ses amis après les avoir entraînés dans une aventure nocturne a priori sans fondement. Alors qu’ils s’apprêtaient à s’en aller après s’être débarrassé, non sans mal, d’un flic prêt à en découdre, Günther attire l’attention du petit groupe sur une armoire vide...

Elle était fidèle, ma vendeuse d’herbe médicinale, vrai- ment fidèle. Mais à son mari. Du haut de mes 20 ans, je faisais pas le poids. Les femmes avec des gosses, j’aimais ça. Ça me donnait de la prestance devant les autres, que de pousser un landau. Mais ça me rendait pas heureux, ça non. J’étais pas dupe. C’était que du cinoche. Ça me foutait le bourdon. Alors, Till m’écoutait me plaindre d’être trop jeune. Maintenant, ce serait l’inverse. Y’a jamais rien qui va, pas vrai ? »

Pendant que je parlais à Camille, ça faisait un raffut du diable dans la pièce. Les copains s’étaient pris au jeu, avaient mis de côté leur désir de blanquette pour jouer au Club des cinq. Ils démontaient l’étagère. Il y avait quelque chose derrière, c’était sûr. Pendant ce temps, le chien s’agitait, jappait que c’en était grotesque. Camille m’écoutait fort aimablement.

« J’ai en bu du pisse-mémé, pour faire plaisir à la dame, pour me faire bien voir. J’en ai fait des efforts, des conneries, juste pour la sensation d’être indispensable. À 20 ans, y’a pas le choix. On s’impose pas. On s’adapte. On fait chien-chien, caresse-panier, la langue qui pend devant la flatterie qui coûte peau- de-zob et la gamelle vide. Y’en a que c’est toute la vie qu’ils sont comme ça, des serpillières, à pleurer pour un échange de sécrétions, ou un ragoton de tendresse. À 20 ans, je comprends. Après... ça confine à la connerie. Ça fait pitié. Beurk ! » Günther est venu me lécher la main. « Bordel, ça résiste » disait Jeannot, bourrinant l’armoire au pied de biche.

« À 20ans, je ne faisais pas que de tirer la patte. Je ne musardais pas. Je m’agitais. Je m’irritais des aléas des années paillettes, de la Compagnie créole et du prime time de Bernard Tapie. Mais c’était aussi la rue du Dragon, Saint-Bernard, les sans- papiers, mes paquets de BN que je donnais aux mômes dormant sur des matelas sous la Sainte Vierge, le Joyeux Merdier et le Folklore de Zone Mondial. La radio, les fanzines, les alterneux de Montreuil et le squatte rue du Thou.. C’est loin tout ça. Bah. J’ai pas tout perdu. Le tableau de Till est la preuve que ça a existé, une trace blanche sur le drap. Rien de pendable. » Et Camille m’écoutait. Et ça faisait « craaaac » et « ouaf- ouaf ! » derrière nous. Elle était bien patiente, Camille. Elle disait rien, ou alors une phrase épurée, du 140 signes, l’essentiel. C’était son principal défaut.

Et « craaaaac ! », l’étagère venait de céder. « Je l’ai eue, bordel ! » « Ouaf ! Ouaf ! » J’aurais bien continué à me répandre, à tirer la chasse jusqu’au matin, mais il s’était passé un truc, un moment charnière dans le récit. Derrière l’armoire ravagée, il y avait une porte, du bas-prix, contreplaquée et serrure en toc, confondante de banalité. N’empêche, on regardait tous. Pas la porte, mais ce qu’il pouvait y avoir derrière. On s’en racontait, du pas banal, du merveilleux, du tragique, des cadavres dans le placard, ou les Champs- Élysées pour baltringues, la lumière noire des bas-fonds ou un cloaque à rats. On se faisait notre histoire. On se regardait quand même. Le premier qui parlerait aurait raison. J’étais la cause de tout ça. Fallait pas que je me débine. Ils étaient derrière la porte, mes 20 ans, bien planqués dans un carton ou sous de vieux tissus, à l’abri de la poussière. « Faut voir ce qu’il y a derrière quand même » que je dis. « Laissez- moi faire » dit Jeannot en ressortant ses outils. Tonio prit les devants. Il tourna la poignée. La porte s’est ouverte. Justine de Liberté Hebdo ne me croirait pas. On parie ?