La vie secrète de JPM (saison 2)

Épisode 6 : « Un bien beau virus... »

Publié le 14 décembre 2020 à 10:29

Dans l’épisode précédent, la discrète Camille remettait en place le macho Sergio qui avait la trouille de descendre en dévoilant par là même ses talents insoupçonnés de judokate. Une fois le différend réglé, toute la troupe de JPM s’apprête à s’engager dans l’escalier de pierre derrière la porte cachée.

Pénible que d’avancer dans un boyau de pierre. On s’éclairait avec nos téléphones. C’étaient pas des catacombes, trop étroit, ni d’anciennes carrières, trop sinueux. C’était autre chose : un tunnel de libages mal dégrossis écorchant les coudes, un sol de gravier. C’était pas bucolique, plutôt stalag, loin des flâneries des jours d’été. Mais on se disait qu’être là, c’était mieux que de se gratter la couenne en solo devant Netflix. Sergio semblait azimuté, ailleurs. Il gambergeait, pas de doute. « Comment k’on dit d’un truc qui sent pas bon et qui fait mal au cœur ? » lui demanda Polo. « Méphitique. » « Ouais, c’est ça, c’est méphitique ! Eh les copains ! Les 20 ans de JP, ils sont méphitiques !  » Tout le monde se marrait. C’est vrai qu’on était loin de la féerie. « À 20 ans, dit Jeannot, Rosa et moi on se perdait dans les catiches pour le plaisir de se tripoter dans le noir. On sortait cradingues mais sacrement fiers. » « À 20 ans je venais d’enterrer le Padre dans un village lombard » dit Tonio. « Moi, j’étais comme aujourd’hui ! Déjà con » dit Polo et il rajouta : « Mais qu’est-ce que ça fouette ! » « Je sais pas, je sens plus rien » dit Sergio en bougonnant. « Tu sens rien ? » dit Tonio. Il sortit de sa poche une fiole en fer blanc et la lui tendit : « Goutte moi ça. » Sergio ne dit pas non. Ça pouvait pas lui faire de mal. « C’est fort, mais c’est fade » qu’il dit en s’essuyant la bouche. « C’est fade ! Un whisky Arran ! Douze ans d’âge, vieilli en fût de Sherry. Et ça sent rien ! » On s’est tous regardé. Ça faisait pas un pli. On l’avait notre Covid. Sergio se serait fait mordre par un « Walking Dead [1] » que l’on aurait réagi pareil. Sergio avait décidément un pouvoir de nuisance exponentiel. Avec lui, le pire n’était jamais décevant. « Faut l’abattre en tirant dans la tête ! » dit Camille en souriant. « Nous périrons ensemble » répondit-il, l’air pas mécontent, un peu vicelard et crapouilleux avant d’ajouter. « Tu es cas contact. Et pas qu’un peu. On s’est bien frotté quand même. Pas de ma faute ! Faut s’isoler tous les deux. On rentre, et tu passes sept jours dans mon appart’, loin du monde. C’est plus prudent. » Il était constant dans ses ambitions, Sergio, c’était pas niable. Camille maîtrisait l’indifférence. « Alors, on avance ? Il va bien quelque part, ce tunnel » dit-elle. On reprit l’exploration. Sergio ne disait plus rien. Le reste de la bande parlait de ses 20 ans. Nous en arrivions à la conclusion que plus jamais nous ne laisserions dire que c’était le plus bel âge. Même si en loucedé, on aurait bien aimé remettre le couvert. On avançait dans le tunnel tout en raclant le fond de la soupière des souvenirs… une sacrée remontée dans le temps. Moi, je me taisais, accompagné de Till, de la vendeuse de tisane, de visages et de lieux aujourd’hui perdus, et qui remontaient à la surface, des bulles de savon, légères et fragiles. Peut-être trop. Ou pas assez. Je m’auto-psychanalysais quand Sergio me dit à l’oreille : « Je suis pas malade. C’est juste que… elle m’émeut, tu comprends ? J’en vois pas le bout. » Il avait les yeux perdus, enfantins, un peu honteux. Je comprenais. Il me parut bien humain, tout à coup, avec son virus, un bien beau virus intraitable, sans vaccin, même pas contagieux, et qui mettait en miette les plus costauds. Je cherchais quoi lui répondre quand Tonio dit : « C’est la fin ! » « De quoi ? » dit Polo. « Du tunnel, Ducon ! » « Tu vois..., que je dis à Sergio, tout arrive. » Il répondit d’un soupir.

À suivre…

 

Notes :

[1Mort vivant.