Musique

La boîte à musique de Mathilde Braure

par Philippe Allienne
Publié le 18 octobre 2019 à 17:01

On connaît bien Mathilde Braure et sa belle aventure artistique avec les Belles Lurettes (son duo avec Martine Delannoy). La revoilà, sur scène et à l’occasion de son premier album studio en solo, « Il m’a vue nue », qui sort le 25 octobre.

Les dix chansons de cet album sont d’abord un hommage aux chanteuses d’un temps passé que Mathilde Braure revisite à travers une actualité douloureuse. « Je les renais, les accouche, les élève, les rajeunis, les enregistre », dit-elle en évoquant Damia, Fréhel, Marianne Oswald, Yvette Guilbert et, bien sûr, Mistinguett. C’est d’ailleurs cette dernière qui interprétait, en 1926, le titre de l’album : « Il m’a vue nue ». On se souvient du thème, que l’on aurait à tort cru frivole, puis franchement comique lorsque Les Charlots le reprennent à la fin des années 60. Une jeune fille qui se baigne nue dans une rivière, ou un lac, se fait surprendre par un homme assis sur un rocher. « J’ai rougi jusqu’au vaccin ! », s’exclame-t-elle.

Mais Mathilde Braure interprète ici, sur un ton qu’elle dit volontiers « neutre », la version intégrale. Mistinguett, et plus tard Les Charlots, avaient coupé le passage où la jeune fille est poursuivie et violée par son voyeur. « Rien de cassé » soupire la naïade de la chanson qui, enceinte de son violeur, n’aura d’autre choix que de l’épouser s’il le veut bien. L’album tout entier est ainsi consacré à la domination de la femme par l’homme. Cela vaut tant au début du 20ème siècle qu’à la période actuelle. Ces chanteuses d’avant guerre, Mathilde Braure les aime profondément. « Si l’on ne va pas les rechercher aujourd’hui, demain elles seront oubliées. L’oubli, c’est l’étape ultime de la mort ».

Mais sans être militante féministe, elle redonne tout son sens aux textes qu’elles interprétaient. Le titre « Quand on vous aime comme ça » (Charles Paul De Kock/Yvette Guilbert) raisonne aujourd’hui étonnamment dans le contexte hélas très actuel des violences conjugales et des féminicides. « La complainte de Kesoubah » (Honoré et Jean Tranchant) raconte comment se construit et se perpétue le modèle de domination masculine. Cela va plus loin encore avec « Les boules de neige » (Paul Fort/Louis Beyds) qui témoigne du rejet de l’autre.

Mathilde Braure introduit son album sur un titre de sa composition, « Ça doit être bien ». Elle y rêve, à contre-emploi, d’être un homme. « Ça doit être bien d’en avoir une / J’aimerai bien en avoir deux / Pouvoir marcher sur la lune / Pouvoir me faire appeler Monsieur » Elle prêche le faux évidemment car, comme elle dit : « Je suis ce que je suis ». Pour elle, l’égalité homme-femme est utopique. « Mais tant que l’on se place d’un point de vue sexué, on ne fera pas avancer réellement les choses. Si l’on se place du point de vue de la personne humaine, de l’individu, on peut gommer les inégalités ». Le disque a été enregistré avec l’électro-acoustitien Rodolphe Collange. « Il a, dit-elle, compris mon idée de petit bal retrouvé, de chansons dont l’écho résonne aujourd’hui dans une modernité, une féminité contemporaine ». On ne saurait mieux dire. Membre du collectif Point Zéro, à Lille, Mathilde Braure fait partie de la compagnie Ces champs sont là ! qui porte l’essentiel de ses projets.

À voir en concert prochainement :
  • - Le 18 octobre à 20h en showcase au centre musical les Arcades à Faches Thumesnil Le 25 octobre à 20h au Théâtre Thénardier à Montreuil-sous-Bois Janvier 2020 : festival We loft Music à Roubaix Mai 2020 : centre musical les Arcades, Faches Thumesnil Juin 2020 : maison folie Beaulieu, Lomme Juillet 2020 : festival Paradisiac, Landrecies Septembre 2020 : le Temple, Bruay-la-Buissière
  • - Spectacle musical co-produit par le centre musical les Arcades et le 9-9bis à Oignies dans le cadre du réseau des Fabriques culturelles.