Le goût des musées

La littérature au défi de l’art

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 17 septembre 2021 à 14:58

Des figures de l’histoire littéraire ainsi que des écrivains contemporains ont évoqué dans leurs œuvres les toiles accrochées aux cimaises des musées, les sculptures et les objets qui habitent les salles. Ces deux modes d’expression n’ont jamais cessé de se chercher : sont-ils parvenus à devenir les miroirs l’un de l’autre ?

L’art d’aimer l’art

La littérature, tous genres confondus, roman, pièce de théâtre, poème, essai, a mis en scène les espaces muséaux. Ceux-ci peuvent être magnifiés, sacralisés, être l’objet d’évocations légères ou en faire les frais. Comme le regard et le style des écrivains diffèrent, ils apportent une pluralité de points de vue et les lisent en leur octroyant de la perspective. Les œuvres nourrissent éventuellement leur imagination créatrice, la pensée trouve ainsi dans l’art une ressource pour exister neuve. Le lecteur découvre une écriture de l’œil qui lui permet d’entrevoir dans les phrases un paysage, un corps ou un visage, il s’attache à y déceler la trace d’émotions ressenties par les auteurs. Mais les œuvres résistent, c’est leur privilège infini. Regard neuf ? Comment parvenir à approfondir la dimension du sensible et trouver un équilibre entre le ravissement et la faculté d’analyse.

Des textes pour élargir notre vue

En regroupant une trentaine d’extraits de textes qu’ils présentent et commentent, Serge Chaumier et Isabelle Roussel-Gillet examinent la place des musées dans la géographie artistique des écrivains et les représentations de leur imaginaire muséographique. Cette anthologie ne reste pas cantonnée aux musées d’art, ceux d’archéologie, d’ethnographie, d’histoire naturelle, des techniques et des arts et traditions populaires ne sont pas ignorés. De multiples registres d’approche ont été choisis. Marcel Proust met un détail en majesté, le petit pan de mur jaune du tableau de Vermeer Vue de Deft en le tapissant d’ironie à propos d’un visiteur-peintre qui le découvre. Pour Paul Valéry, dans ces espaces de connaissances et d’expérience esthétique, l’excès fonctionne trop souvent à plein. Trop de richesses ; sanctuaire ou fosse commune quand la confusion s’ajoute à l’accumulation. Les motivations des collectionneurs sont abordées par Georges Perec qui visite un cabinet d’amateur et par Philippe Forest qui évoque l’objet relique tandis que Julien Barnes dans Le Perroquet de Flaubert pose le problème de l’authentique et de la copie. Les objets ethniques usuels ou rituels dépourvus de leurs anciennes fonctions sont transformés en objets d’art : Le Clézio qualifie ces musées d’ombres et Jean Echenoz traite du marché de l’art ethnique. Patrick Grainville s’intéresse à la géométrie poétique de l’architecture, à l’association de l’organique et du métallique de Beaubourg avec les constructions réelles et imaginaires des frères Schuiten. Autre imaginaire sur le départ imminent, celui du gardien qui rêve, qui fantasme. Déambuler la nuit dans des musées, dans leurs réserves, ceux d’histoire naturelle avec leurs animaux naturalisés et leurs squelettes et ceux d’égyptologie remplis de momies deviennent des lieux vivants : les délices de l’effroi sont en partance (Catherine Lépront). Jean-Michel Ribes fait dialoguer un artiste et des visiteurs lors d’une performance non renouvelable : le meurtre considéré comme un des beaux-arts. L’horreur est atteinte par les « marchands du temple » avec les spectacles des « freaks », humains affligés d’anomalies anatomiques (Steven Millhauser). Ce florilège de textes (tous n’ont pas été évoqués) se clôt sur un manifeste d’Orhan Pamuk pour un musée modeste qui « au travers des objets du quotidien est le reflet de l’histoire des gens du peuple ». Les musées ont été écrits et s’écrivent… Mais depuis quelques années, ce sont les écrits, délaissant quelque peu les bibliothèques et les maisons d’écrivains, qui « grimpent » aux murs des musées. Un goût des musées 2 ne restera pas longtemps en friche.

Le goût des musées. Textes choisis et présentés par Serge Chaumier et Isabelle Roussel-Gillet. Mercure de France, 128 pages, 8 euros.