Feuilleton

La vie secrète de JPM (4)

Épisode 4 : « Bartok »

Publié le 16 avril 2020 à 19:02

JPM vous propose de suivre durant plusieurs semaines un feuilleton inédit qui vous plongera dans son quotidien en ces temps de confinement : « La vie secrète de JPM ». Dans l’épisode précédent, il découvrait la jeunesse de tata Rosa avant de s’apercevoir avec stupeur de la disparition de Günther, son chien handicapé qu’il avait attaché devant le bar de La Chope.

J’avais fait le tour du quartier, mais pas de Günther. Nada ! J’étais alors rentré à la maison mère. Samir m’avait resservi un demi. Les copains étaient autour de moi.

J’ai appelé tata Rosa, la mort dans l’âme. « C’est JP. J’ai eu un problème avec Günther... ne t’inquiète pas... il va bien... il... »,« Il pète la forme ! » dit Polo. Les copains riaient comme des baleines. « Il va bien. C’est juste qu’une roue est cassée... il marche beaucoup moins bien... il ne roule plus... je voudrais réparer Günther mais c’est difficile de trouver les pièces. Je le ramène demain... non, j’ai pas de croquettes... mais ça ira... oui, il te réclame. Mais on fait des câlins... et puis j’ai une baballe. On rigole bien ! Bisous tata. » J’avais été minable.

Je suis monté sur une table au milieu du troquet. Fred a pris son violon et a commencé à jouer la Sonate pour violon seul « Melodia » de Bartok. Ses notes étaient comme un chant d’oiseaux qui emplissaient la pièce d’une tristesse solennelle et religieuse. J’ai alors parlé, le plus dignement possible, malgré l’angoisse. « Mes amis, je suis dans une grosse panade. » J’ai laissé un blanc, les regardant dans les yeux, un par un. « Günther est parti. Il erre je ne sais où. Je vous demande de la solidarité envers tata Rosa, envers Günther, envers moi ! En dépit de l’état de guerre dans lequel le pays est plongé, je voudrais que vous sortiez de votre zone de confort, et que vous m’aidiez à le retrouver, quitte à prendre des risques. »

Il y eut un long silence, un très long silence. « Moi, je veux bien ! » dit Sergio en regardant du coin de l’œil Camille. « Moi aussi ! Par respect pour Rosa » dit Jeannot. Polo était d’accord en échange d’une bouteille de Sancerre blanc, Emma proposait de faire une recherche avec son pendule. On s’est réparti les directions, les rues à explorer, cherchant des excuses acceptables en cas de contrôles. Sergio avait embarqué Camille avec lui. Balèze, ce mec. Le rideau de fer s’est ouvert, on s’est souhaité bonne chance en se promettant de s’appeler régulièrement. C’était fort comme moment. J’avais les larmes aux yeux.

Cela ne faisait pas dix minutes que j’avais quitté La Chope, en criant «  Günther ! » qu’une voiture de police s’arrêta à mes cotés. Un flic en descendit pour me demander mon attestation. Je sentais la soirée pourrie. J’ai pris mon air le plus aimable possible. « Monsieur l’agent, c’est compliqué. J’ai perdu mon chien, ou, plutôt, celui de ma tante. Je le promenais, et sans prévenir, il est parti en courant. Surpris, j’ai lâché la laisse. Depuis, je le cherche. » Le flic ne rigolait pas. Enfin, je ne pense pas. Il avait un masque. « Il ressemble à quoi ? » « C’est un petit bouledogue. » « Il a un signe particulier ? » « Un petit... Il a des roulettes. » Le flic me dévisageait, attendant la suite. « Il fait de la myélopathie. Il est paralysé. » « Il est parti en courant !?  » Il était franchement inquisiteur. «  Il est très rapide des pattes avant. En handisport pour chien, il gagnerait des concours ! » J’ai senti la sanction arriver. « J’ai beau analyser ce que vous dites, ce n’est pas très rationnel tout ça » me dit le policier. « Monsieur l’agent, l’analyse et la rationalité mènent bien moins loin que la poésie, la musique et l’amour, vous ne pensez pas ? » Ça m’était venu comme ça. J’ai vu couler une larme le long du masque du flic. « C’est beau ce que vous dites. Vous avez raison. Bon courage » me dit-il. Il est remonté dans la sa voiture. Il est parti en me faisant signe avec son mouchoir. J’avais encore Bartok en tête.

À suivre...

Si vous avez raté le début, vous pouvez toujours relire les épisodes 1 : « Günther », 2 : « La Chope » et 3 : « Tata Rosa ».