Feuilleton

La vie secrète de JPM (10)

Épisode 10 : « Banzaï »

Publié le 2 juin 2020 à 16:40

JPM vous a proposé de suivre un feuilleton inédit qui vous a plongé dans son quotidien durant le confinement : « La vie secrète de JPM ». Dans l’épisode précédent, il découvrait avec stupeur le décès de tata Rosa. Ce dernier épisode, il laisse à Maryline Cheap le soin de vous le raconter...

« Maryline ! C’est JP. Je peux rentrer ?  » Il s’est assis sur le canapé à côté de moi, comme une pauvre chose, a posé sa tête sur mon épaule et a pleuré comme un gosse. « Ça va aller » que je lui disais. Ça coulait de ses yeux, sans s’arrêter. Entre deux sanglots, il répétait : « Je l’aime pas ce monde !  » « Vas-y, pleure ! » je lui disais. Et cela repartait de plus belle, comme si je lui avais donné l’autorisation de lâcher prise. Et il le faisait. « Eh bien, le piaf qui est tombé du nid, il a un gros chagrin ? » J’avais un enfant dans les bras, un enfant qui pleure, un enfant qui ne trouve pas les mots, parce qu’il ne les avait probablement pas. Un chagrin accumulé depuis des années et qui sortait comme ça, sans prévenir. Günther ronflait. « Que cela revienne comme avant. » C’est JP qui parlait. Mais il voulait dire quoi ? C’était pas glorieux comme réflexion, lui qui avait toujours conspué les réacs, les nez-plats et les souvenirs douloureux, conspué les doc- trines et les idéologies. Je ne pouvais pas le laisser comme ça. « Tu vas venir avec moi JP. On va sortir. Je vais te déconfiner la tête. Je t’emmène au ciel. » « OK, mais je prends Günther, on ne sait jamais » m’a-t-il répondu. Nous sommes sorti. JP ne disait rien, comme un boxer sonné, traînant Günther comme sa misère. Les rues étaient désertes jusqu’au chantier. Il fut facile de passer les barrières métalliques pour nous retrouver au milieu des engins de chantier au repos. JP était un zombie, absent. Nous nous sommes approché de la grue, qui, du haut de ses 40 mètres, dominait le quartier. Nous avons laissé Günther et sommes monté à l’échelle métallique. Plus nous grimpions, plus JP se détendait. Ses yeux brillaient, tel un gosse avec un nouveau jeu. Cinq minutes plus tard, nous étions dans la cabine de la grue, à surplomber notre terrain de jeu journalier. JP s’extasiait : « Bordel de merde ! Cédric, t’es un cador ! Maryline, t’es une fée ! » Pas un bruit, juste le chant des oiseaux. Le soleil de 19 h dorait les toits. De là-haut, nous voyions les rues vides, parcourues par nos potes, comme des minuscules Pac-Man qui forcément se croiseraient un jour à La Chope. François comme sortant du lit, Tonio sur sa moto, Camille prenait son vélo, Polo sortait du caviste roumain, Jeannot traînait sa mélancolie, Sergio au téléphone. Tout en bas de la grue, Günther roupillait. « Maryline, me dit JP, je vais te faire l’oiseau tombé du nid. » Il sortit de la cabine et, tel un funambule, monta sur le bras de levage de la grue. Il marchait sur la poutrelle, s’accrochant maladroitement aux barres métalliques au-dessus du vide. « Arrête JP, fais pas le con ! » Il se marrait, lâchait une main, se penchait dangereusement, mimait l’équilibriste. Il fit un selfie en grimaçant et hurla : « Je suis Sweety Birdy ! J’arrive les amis ! » Camille descendit de son vélo, leva les yeux effarée et cria : « Je te préviens, je ne te ramasse pas ! » Günther se réveilla et commença lui aussi à engueuler JP comme comprenant la situation tandis que les copains arrivaient en courant. Cela dura bien dix minutes, des minutes qui semblèrent durer des heures. Puis JP s’arrêta. Calmement il s’assit, les jambes dans le vide et lentement, très lentement, se roula une cigarette. Il la savourait sa clope, regardant du haut de la grue la ville silencieuse. Puis il dit à l’assemblée pétrifiée : « Qu’est-ce-que vous croyiez ? Que j’allais vous laisser tomber ? Je la nique, moi, la mort !  » Il est alors revenu à la cabine. Sans un mot, nous avons regardé le soleil se coucher, avant de redescendre sur terre et retrouver les copains qui n’avaient pas bougé. « Tout passe » qu’il me dit en redescendant. Et il rajouta : « Hauts les cœurs et Banzaï ! »

FIN

Si vous avez raté le début, vous pouvez toujours relire les épisodes 1 : « Günther », 2 : « La Chope », 3 : « Tata Rosa », 4 : « Bartok », 5 : « Les amis », 6 : « François », 7 : « Maryline Cheap », 8 : « Joyeux merdier » et 9 : « En vrac ».