Je rentrais à la casa, le moral en berne, après avoir laissé François. « Bonsoir » dit Maryline Cheap, alors que je la croisais dans l’escalier, Günther dans mes bras. Elle était très classe, ressemblant à Laura d’Otto Preminger. « Qu’il est mignon ! » me dit- elle en caressant le clebs qui frétillait de la queue devant tant de sollicitude. J’attirais vraiment la bienveillance avec ce clebs. Günther péta et Maryline s’extasia :« Oh,petit cochon !Il a fait un gros pétou ! » Me regardant d’un air circonspect, elle ajouta : « Il mange bien ? »
Cette conversation commençait à me lasser. « Et vous,ça va ? » lui dis-je.« Comme tout le monde. C’est dur en ce moment dans le bâtiment... Vous avez l’air troublé ? Un truc qui cloche ? Je suis Cédric, grutier dans la journée, et Maryline Cheap le soir. Y’a un problème ? » Sans avoir le temps de répondre, elle me dit : « J’ai un reste de chili. On va manger tous les trois, ça vous dit ? » J’avais la dalle, je voulais oublier la solitude de François, mais je faisais remarquer que pour Günther, ce n’était pas ce qu’il y a avait de mieux. « Bah... on va pas faire de manière ! Allez, zou ! Je fais réchauffer. Venez. »
Assis sur son canap’, pendant qu’elle préparait le repas, j’envoyais un SMS aux copains : « Günther retrouvé. À demain matin. » Elle était chouette Maryline. C’est con comme on passe à coté de gens formidables, par manque de temps, ou d’envie. J’en ouvrais des portes depuis ce confinement. En mangeant, Maryline me parla d’elle, de son désir de chanter un jour chez « Madame Arthur », des crachats et des baffes dans la gueule certains soirs, de sa fille infirmière, de sa mère Alzheimer, de son père banquier qui ne voulait plus le voir, de sa passion pour Sylvia Plath et de son amour secret pour le gardien de nuit du Mercure. Elle balançait sa solitude avec humour, sans apitoiement. Un vrai dur, Maryline Cheap.
Je recevais des messages. Polo : « C’est bon aussi, les vins de Loire. » Emma : « Je vois des femmes avec lui. » Sergio : « Camille vient de partir. Tu as son 06 ? » Jeannot : « Je t’amène quand même le Rottweiler. » Maryline me montra son album photos, de Cédric, puis d’elle. On picolait bien. On entamait le cognac en écoutant Manuel de Falla, quand elle me dit : « On t’a déjà dit que t’avais un tronche de piaf tombé du nid ? » « Oui, une fois. » « Raconte ! » dit-elle. Je ne préférais pas. « C’est pas grave. On va faire un truc. Je vais te maquiller, et tu t’appelleras... “Sweety Birdy”. C’est fun, non ? » J’étais moyennement chaud. Il était trois heures du mat’, la journée avait été longue. Mais elle insistait. L’odeur des pets de Günther se mélangeait aux nôtres, l’ambiance était vraiment bonne. Je me laissais faire. « Bouge pas, JP, je vais faire le contouring.
Je vais sculpter ton visage, travailler les ombres et les lumières, je vais blend le foncé, puis blend le clair, puis les deux. » Jusqu’à ce qu’elle me « brush », puis dessine mes yeux et me coiffe, elle m’avait fait parler, de moi, de mes totems vaudous, et même de mon histoire de piaf. Trois heures plus tard, quand je vis ma tronche dans la glace, j’ai pensé à Brigitte Fontaine au saut du lit. Le jour venait de se lever. J’étais crevé mais détendu. J’avais retrouvé le chien, j’avais une nouvelle copine. Elle me dit : « Alors, Sweety Birdy, elle va faire quoi maintenant ? » « Elle va redevenir JP, lui dis-je, roupiller deux heures, filer à La Chope avec le clebs pour le café, puis aller chez tata Rosa. » Je pensais la fin du feuilleton arrivée. Au même instant, une voiture de flic quittait le commissariat central. Mais ça, je l’ignorais.
À suivre...
Si vous avez raté le début, vous pouvez toujours relire les épisodes 1 : « Günther », 2 : « La Chope », 3 : « Tata Rosa », 4 : « Bartok », 5 : « Les amis » et 6 : « François ».