Feuilleton

La vie secrète de JPM (8)

Épisode 8 : « Joyeux merdier »

Publié le 15 mai 2020 à 11:06

JPM vous propose de suivre un feuilleton inédit qui vous plongera dans son quotidien durant le confinement : « La vie secrète de JPM ». Dans l’épisode précédent, il passait une soirée mémorable chez sa voisine transformiste, Maryline Cheap, après avoir enfin retrouvé Günther.

ll y avait même les gyrophares. Je voyais les copains, sur le trottoir devant La Chope, la gueule défaite. Samir gesticulait devant un flic qui parlait fort. Deux autres pandores faisaient les chiens de garde, prêt à bondir. Polo gueulait : « Police partout, justice nul part ! » Je voyais Jeannot arriver du bout de la rue avec un Rottweiler maousse. Sergio venait vers moi en courant. Il me dit : « Je vais parler à la police de la notion de liberté individuelle, de Durkheim, de Milgram. Je vais leur clouer le bec. Dans ces moments-là, faut éduquer le peuple. T’as quoi sur la tronche ? T’as ton Rimmel qui a coulé ? » Je ne m’étais même pas démaquillé. « Ta gueule ! » lui dis-je. Faut dire que j’étais tendu. Günther avait hurlé à la mort durant les trois heures où j’aurais pu dormir. J’avais des relents de cognac. On s’approcha de l’attroupement. Ça faisait un sacré raffut. Emma proposait du chocolat aux keufs indifférents.

Polo en remettait une couche : « Tout le monde déteste la police ! » Faut dire que question argumentation, on était léger. J’ai cru que Sergio allait se prendre une baffe en citant Foucault. Ça m’aurait fait plaisir. Tout le monde se mit à gueuler quand un flic bouscula Polo. Günther aussi, plein d’admiration devant le colosse qui voulait bouffer de la flicaille et que Jeannot avait du mal à retenir. On a entendu des sirènes. Deux cars de CRS arrivaient en trombe, genre cavalerie qui vient dézinguer l’Indien. Il n’était même pas 10 h, la journée partait en vrille.Voulant calmer tout ce monde, je m’approche du gradé qui me dit : « Mais je vous reconnais. Vous avez retrouvé votre chien ? » J’ai tenté mon va-tout. « Oui, Monsieur l’agent. Vous vous rappelez : la musique, la poésie et l’amour ? » Il avait changé d’état d’esprit. Pas de larmes sur le masque, pas le petit cœur qui pleure, mais un « circule le travelo ». Je n’ai pas eu le temps de l’insulter, je me suis senti soulevé à 15 mètres du sol, puis assis sur une banquette en métal dans le fourgon. Polo gueulait « CRS en colère, le pastis il est trop cher !  » en me rejoignant.

En cinq minutes, on avait recréé La Chope dans la bétaillère qui roulait à fond à travers la ville, tous les six, l’un à côté de l’autre, surveillés par les CRS qui nous engueulaient comme des mômes. On se marrait, les copains et moi. Pour être confiné, on l’était. Cela prit toute sa mesure quand Günther dégaza le chili de la nuit. C’était immonde. On éclata de rire. On se faisait quand même du souci pour Samir. On se sentait responsable. Et puis, c’était quoi l’avenir sans La Chope ? On ferrait quoi, de nos solitudes ?

On s’est vite retrouvé en cellule dans la cave du commissariat. Les flics nous ont laissé ensemble, menottés aux banquettes, mais ensemble. Même Günther resta avec moi, jusqu’au contrôle d’identité. Je fus accueilli assez froidement dans un bureau. « Ton nom, la tarlouze ? », me dit le flic à peine majeur. « “Sweety birdy”... non, je déconne... » Je récitais mon pedigree. Trois heures plus tard, on était sur le trottoir. Jeannot avait été épargné et nous attendait devant le commissariat accompagné du molosse qui reniflait le cul de Günther. « Faut filer chez tata Rosa. Elle attend le chien » lui dis-je. Jeannot était agité. « J’ai le trac de la revoir. J’ai l’impression d’avoir rendez- vous après 30 ans de confinement. Je lui ai ramené l’affiche de Wolinski. C’est con, j’ai pas de fleurs. » Il était touchant, vivant. Il avait 15 ans. Il était beau. J’ai sonné à la porte de tata. Normalement, j’aurais dû entendre « Entre ! » J’ai resonné. Toujours rien. Günther hurlait à la mort... Dans deux minutes, j’allais perdre mon rapport poétique à la vie.

Si vous avez raté le début, vous pouvez toujours relire les épisodes 1 : « Günther », 2 : « La Chope », 3 : « Tata Rosa », 4 : « Bartok », 5 : « Les amis », 6 : « François » et 7 : « Maryline Cheap 1809 ».