La vie secrète de JPM (saison 2)

Le jour où je me suis perdu...

Publié le 6 novembre 2020 à 16:46

Vous aviez plébiscité la saison 1, voici la deuxième saison de notre feuilleton de confinement, qui met en scène JPM et Günther, son chien handicapé, et tous leurs amis de La Chope pour une nouvelle aventure confinée.

La Chope désormais fermée, les copains étaient tous là, place Louise-Michel, notre nouveau repère, malgré un temps de Toussaint, de bruine et de crachin. J’avais du lourd à leur raconter, du pas banal. J’avais été plus que succinct au téléphone. « Venez, faut qu’on cause. » Succinct, je vous dis. Ils étaient autour de moi, impatients, pébroc à la main au cas où. Je commençais mon histoire : « En promenant Günther ce matin, je me suis perdu dans le quartier. Faut le faire ! A priori, fallait pas compter sur le chien pour me ramener à ma casa. Il a le pif aussi paralysé que le cul. Pour ma défense, faut dire que je marche au radar depuis ce confinement saison 2. De la bouillie dans le crâne que j’ai, les neurones paresseux. Ça fait ça, quand plus rien ne fait envie. On traîne, on tourne en rond, on se perd, on repart, on se re-reperd. On appelle ça “passer le temps”. Pas vrai ? » Tout le monde acquiesçait. « Je marchais donc au hasard, en flânant, m’étonnant de découvrir des rues. La pluie fine rendait les pavés glissants. Le chien s’est arrêté pour faire trois gouttes devant une vitrine. C’était une galerie d’art, manifestement abandonnée depuis plusieurs mois. Glissée sous sa porte, je voyais des courriers vieux de cent ans, jonchant un sol crasseux. J’aurais pu reprendre ma route, mais j’aime bien l’art. Alors, j’ai jeté un coup d’œil curieux à travers la vitrine rendue presque opaque par la saleté. Quelques sculptures en bronze de chevaux, des tableaux abstraits genre Desigual. Rien d’anormal. Mais un tableau a attiré mon attention, petit, d’un format A4, posé sur un chevalet. Au début, je n’étais pas bien sûr. Il faisait sombre. Mais il n’y avait pas d’erreur possible. Représenté avec une marinière cradingue, un piaf triste sur l’épaule, assis sur la banquette d’un wagon de train désert, je me vois, la vingtaine qui sourit. Pas de doute. C’était bien moi ! » Les copains n’en rataient pas une miette. « J’ai reconnu le style réaliste du peintre. C’était un bon pote. Il s’appelait Till je sais plus comment. Un nom nordique à rallonge et imprononçable. Il ne m’avait jamais dit que j’avais servi de modèle. La dernière fois que je l’avais vu vivant, je lui annonçais que l’on aurait un jour Disneyland en France. Allongé sur son lit d’hôpital, il était maigre et livide, bouffé par ce que certains appelaient le cancer des homosexuels. Alors que je déconnais sur Mini et Mickey, il avait souri et avait arrêté de respirer. Voilà comment il avait fini. C’est un truc que l’on n’oublie pas. Alors, voir un de ses derniers tableaux, ça m’a retourné. En observant la toile, je me suis trouvé beau gosse à 20 ans. N’empêche, tout ça posait question. Je crois en rien. Mais retomber sur sa jeunesse au détour d’une rue déserte, c’est pas banal. Je dirais même que c’est pas un hasard ! » Les copains ont encore acquiescé, mais moins franchement. « J’ai regardé longtemps le tableau. Günther à tiré sur sa laisse, me signifiant qu’il avait faim. Je n’ai pas insisté. Un dernier coup d’œil sur ma tronche en peinture, et j’ai suivi le clebs, m’arrêtant régulièrement pour écrire sur le sol avec un caillou mes initiales. Je gambergeais tellement que je ne fus même pas surpris de me retrouver devant la porte de ma casa. Brave Günther. » Il dressa les oreilles. Les copains n’avaient pas bronché. Mais je les sentais dubitatifs, limite méfiants. « Alors, qui vient avec moi cette nuit pour récupérer le tableau ? »Les copains se sont regardés. Des doigts se sont levés, timidement. La pluie est alors tombée.

À suivre...

Entre le 21 mars et le 28 mai durant le premier confinement, JPM publiait dans Liberté Hebdo le feuilleton « La vie Secrète de JPM ». Le Théâtre K vient d’en publier l’intégrale dans un recueil illustré de 40 pages. Disponible pour 5 euros, frais de port compris, vous pouvez le commander à cette adresse : Théâtre K, 35, rue Pasteur, 59370 Mons-en-Baroeul. Il vous sera envoyé dans les meilleurs délais, accompagné d’une dédicace personnalisée par JPM. Un bien beau cadeau de Noël.