Ph.A
Absolut Président

Le premier quinquennat de Macron sous le crayon de Placide

par Philippe Allienne
Publié le 23 septembre 2022 à 14:39

Le dessinateur de presse Éric Laplace, dit Placide, vient de publier un album décapant et rafraîchissant sur le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Son titre : « Absolut Président ». Avec en couverture la caricature du personnage principal portant costume et perruque de Louis XIV. Et à l’abri à l’intérieur d’une bouteille de vodka… Absolut bien sûr. Comme il dessine chaque semaine pour Liberté Hebdo [1], nous n’avons pas manqué de le retenir quelques instants lors de son dernier passage dans nos locaux.

  • Pour Liberté Hebdo, tu es l’homme qui commet 7 erreurs chaque semaine [2]. Tu en es fier et les lecteurs sont ravis. On en oublierait qui tu es. Peux-tu nous gratifier d’un petit rappel ?

Volontiers. Je vis à Paris, mais je suis né dans le Sud-ouest, à proximité d’une voie ferrée. C’est ce qui explique que, vers l’âge de 4 ans, j’ai commencé à dessiner en série des locomotives à vapeur. Plus tard, j’ai reproduit les dessins que Moisan publiait dans le Canard Enchaîné. C’est comme cela que j’ai pris goût à la caricature politique et au dessin de presse.

  • On peut donc parler de vocation précoce ?

J’étais très jeune quand j’ai découvert le Canard et les dessins de Roland Moisan. Mais j’étais aussi un fervent lecteur de Pif Gadget, d’où mon pseudonyme Placide en référence aux ineffables aventures de Placid et Muzo. Au collège, j’étais connu pour mes caricatures de profs.

  • Mais le dessin de presse, plus précisément, cela arrive à quel moment ?

J’ai commencé à dessiner pour la presse régionale alors que j’étais mécano, près d’Orange, dans le Vaucluse. J’ai créé le personnage de Germain Berjou pour le quotidien  Le Provençal. C’était en fait un ersatz du beauf de Cabu. Cela m’a valu le premier prix du Festival de BD d’Aix en Provence, en 1985. Et puis, après un passage dans la publicité, je me suis consacré essentiellement au dessin de presse.

Beaucoup plus récemment, en 2020, tu as obtenu le « Grand prix de l’humour vache » au salon international de la caricature, du Dessin de presse et de l’Humour de Saint-Just-Le-Martel. Ton album « Absolut Président », c’est une série de vacheries contre Emmanuel Macron ?

J’ai surtout voulu retracer les années du premier quinquennat. Entre 2017 et 2022, j’ai réalisé pas moins de 1500 dessins sur le sujet. Il y a eu beaucoup de variété entre l’actualité chaude et des moments plus ternes. Mais je crois que ce n’est pas l’action qui fait le bon dessin. Ce n’est pas si simple. Tout ce qui ressort du marronnier [l’actualité récurrente, les événements qui reviennent régulièrement chaque année – ndlr] fait beaucoup rire, par exemple. Mon objectif, c’est de faire rire les gens en cherchant les éléments sur lesquels ils vont pouvoir accrocher. Mes dessins fourmillent de détails et de références historiques et culturelles et sont bien sûr puisés dans l’actualité. J’aime aussi les anachronismes.

  • On le constate clairement en découvrant le dessin de couverture de ton album.

Oui. Il y a le jeu de mots sur le président absolu, comme un monarque absolu, et la vodka absolut. Parmi les dessins en noir et blanc qui figurent en toile de fond, on voit de grands faits d’actualité des cinq dernières années comme les Gilets jaunes, l’incendie de Notre-Dame, le malaise à l’hôpital. Mais on y voit aussi Poutine au moment où il entre en guerre contre l’Ukraine. En revanche, quand j’ai dessiné la caricature en couleur, au centre de la couverture, avec la bouteille de vodka et Macron à l’intérieur, c’était avant cette entrée en guerre. 

  • Tes dessins sont prémonitoires ?

En fait, les dessins sélectionnés pour cet album (j’en ai sélectionné 50 pour chaque année du quinquennat) sont une compilation qui préfigure ce qu’il va advenir. Par exemple, avant la révolte des Gilets jaunes, j’avais publié des dessins sur la baisse de APL, la destruction du code du travail, le passage aux 80 km/h et, évidemment, la hausse des prix du carburant qui a mis le feu aux poudres. Les quelque 250 dessins sont montés dans un ordre qui respecte la chronologie de 2017 à 2022. Il faut les voir avec leur côté amusant mais aussi dans une perspective historique. On trouve aussi un événement particulièrement marquant pour chaque année visitée.

  • Comme les Gilets jaunes en 2018 ?

Certainement. On n’avait pas vu depuis longtemps une telle mobilisation à proximité de l’Élysée. Avec ses excès et les gens qu’on n’avait jamais vu dans les manifestations traditionnelles. Mais au-delà des relents poujadistes du début du mouvement, il y avait surtout la révolte de gens contre la déconnexion des dirigeants politiques vis-à-vis du local, de la base. On le voit aussi à travers les actes d’Emmanuel Macron, par exemple lorsqu’il croit pouvoir se remettre en selle en lançant une «  itinérance mémorielle  » consacrée au centenaire de la Grande Guerre et en rendant hommage à Pétain. J’ai alors réalisé un dessin [page 23] où l’on voit cet itinéraire tracé par des Gilets jaunes.

  • Tes dessins montrent aussi un Macron dont les déclarations et les projets sont contrariés par les événements.

C’est vrai. Par exemple, le 14 avril 2019, on annonce qu’il va s’exprimer le lendemain à la télévision, à 20h, pour annoncer les chantiers du Grand débat national. Or le 15 avril survient l’incendie qui ravage la cathédrale Notre-Dame de Paris. [page 29]

  • La compilation présentée dans l’album n’oublie aucun événement.

Sur les 1500 dessins que j’avais réalisés, le plus difficile a été de faire la sélection sans jamais passer à côté de l’essentiel. Il y a eu beaucoup de choses : le lancement de la consultation sur les retraites, juste après (c’est incroyable) la prudence affichée lors du grand débat post-gilets jaunes, il y a eu la manif contre l’islamophobie, l’interdiction votée par le Sénat des signes religieux pour les parents accompagnant des sorties scolaires [page 35], la crise du Covid, celle des hôpitaux et de l’enseignement, le chômage et l’attitude arrogante de Macron quand il assure qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi, l’affaire Benalla, la guerre en Ukraine, etc.

  • Pour finir, quel regard portes-tu sur la présidence d’Emmanuel Macron ?

Je m’étais régalé avec Hollande et j’ai eu peur de m’ennuyer avec Macron. Je me régale tout autant. Mais les codes d’hier ne fonctionnent plus. Sous Mitterrand et Chirac, il y avait de la réserve, de la tenue, des repères. Aujourd’hui, les hommes politiques n’ont plus cette profondeur. Ils réagissent comme on régit sur les réseaux sociaux. Là où Chirac, traité de « connard  » savait répondre « Enchanté, moi c’est Chirac », Sarkozy claque un « Casse-toi pauvre con  ! » Tout est là. On recherche le buzz, la story telling.

Notes :

[1On retrouve aussi les dessins de Placide dans de nombreux journaux et sur son site www.leplacide.com

[2Les 7 erreurs de Placide, dans notre page « Jeux »