Spécial Transports

Le vélo, une philosophie de vie

par Nassima AZIZI
Publié le 28 septembre 2020 à 18:34 Mise à jour le 29 septembre 2020

Le « scarabée bousier » face au « papillon », c’est comme ça que Didier Tronchet imagine automobilistes et cyclistes sur la route. Le dessinateur de 61 ans revient avec son fameux Petit Traité de vélosophie. Une nouvelle édition sous forme de BD, dans laquelle il relate ses amis, ses amours et ses emmerdes à bord de son vélo.

« Le vélo, c’est le souvenir de la première liberté ! » Entrain et nostalgie se mêlent dans la voix de Didier Tronchet. Ce passionné se souvient de la première fois qu’il a goûté aux plaisirs du deux roues. « Tout à coup, on échappe à la pesanteur. On vole, on est libre d’aller où l’on veut. » Un sentiment fort qui l’anime encore cinquante ans plus tard. « J’ai toujours conservé ce premier élan de liberté.Maintenant quand je monte à vélo, j’ai l’impression de redevenir l’enfant de cette époque. » Souvent mis à rude épreuve, cet amour du vélo a dû faire face à quelques obstacles. Arrivé à Paris au début des années 90, l’auteur de Raymond Calbuth décrit avec amertume l’absence de moyens mis en place pour les cyclistes. « On n’existait pas. On n’était pas du tout respecté. Il n’y avait rien de prévu pour nous, aucune voie, aucun espace. » Une « jungle urbaine » dans laquelle il empruntait les sens interdits et montait sur le trottoir. « J’ai survécu à tout ça ! » Avec beaucoup d’humour, il raconte ce « combat âpre » qui l’a mené à l’écriture de son livre Petit traité de vélosophie en 2000. « Je me suis dit que ça serait drôle de raconter un peu tout ça. »

À vélo, on dépasse les autos

Au fil des pages, il partage sensations et émotions, puis retrace des situations vécues les mains sur le guidon. « De mon intérêt pour le vélo m’est venu ce combat pour les cyclistes à Paris. » Inspiré de situations réelles, il « n’invente rien » et c’est ce qui plaît ! « Quand le livre est sorti, ça évoquait beaucoup à toutes ces personnes qui ont tenté de rouler à Paris ou dans d’autres grandes villes, tout le monde a vécu ça. » Comme un « porte-parole » des cyclistes, il évoque ces sentiments divers et variés qu’ils vivent au quotidien sur leur selle. Peur, enthousiasme, impatience. Rouler à vélo, c’est un peu comme faire un tour de montagnes russes. Vingt ans plus tard, même si le combat n’est pas fini, il semble avoir progressé. « Je m’aperçois que l’on peut rouler à vélo de manière incroyablement prioritaire. En dessous des panneaux de sens interdit, il y a la formule magique qui nous est réservée : “sauf vélo”. » Bien que le pari d’offrir au vélo sa place dans les grandes villes ait été gagné, des améliorations restent à faire. « Je pense que le chemin n’est pas fini. J’ai fait ce second livre sous forme de BD pour m’adresser à un autre public et d’une nouvelle façon. »

« Je roule plus vite qu’eux, bien plus librement et avec plus de joie ! »

Dans ce livre, Didier Tronchet dépeint sa relation avec les automobilistes. « Avant, je ressentais du dépit, maintenant, c’est plutôt de la condescendance pour ces conducteurs qui sont coincés dans leur habitacle fermé sans lien avec l’extérieur, sans possibilité de se mouvoir plus que moi. » Devenus la hantise des voitures, les vélos, qui à l’époque étaient invisibles aux yeux de tous, ont su s’imposer sur les routes. « Au début, il y avait beaucoup de mépris pour moi puis j’ai senti que l’on avait gagné quand ça s’est transformé en haine. Je me suis dit “on a gagné”, ils nous détestent au lieu de nous mépriser. » Un renversement des valeurs qu’il aborde avec dérision au cœur du livre. Cependant, l’auteur ne se veut ni « moraliste », ni « supérieur » et souhaite transformer ces petites anecdotes sans incidence en « situations plaisantes et drôles ». « N’en faisons pas un souci de gravité, mais plutôt de légèreté, avec cet espoir que par capillarité cette légèreté se communique aux automobilistes. » Et même si lui non plus n’est pas près d’arrêter le volant de sitôt, il espère un jour voir émerger un nouveau moyen de transport naturel et moins polluant. « J’aimerais bien n’utiliser que mon vélo, mais je suis obligé d’avoir une voiture (...). Je fais confiance à la génération suivante, qui est débordante d’idées, parce que c’est dans les moments de crise que les inventions les plus étonnantes se font. »

Que pensez-vous de ce soudain intérêt collectif pour le vélo, depuis le début de la crise sanitaire ?

« Mettre toute la population dans une cocotte-minute pendant deux mois c’est sûr que lorsqu’on sort on a une habilité à aller vers les choses auxquelles ont apportait peu d’importance. Respirer, sortir profiter de la nature, être dans un mouvement extérieur. Les meilleures conditions étaient réunies pour un retour au vélo et autres moyens de déplacements hors technologie.En revanche, je redoute un peu qu’avec ce mouvement actuel on perde l’esprit vélo, qui est avant tout la courtoisie. J’ai peur que ceux qui ne pratiquent pas régulièrement oublient qu’il y a un esprit chevaleresque, de respect de l’autre, de ne pas vouloir être supérieur dans la vitesse ou par rapport aux piétons. On ne fait pas du vélo pour aller vite, on fait du vélo pour aller bien ! »