Les souvenirs de JPM

Les lapins de Merlimont (Pour Damien)

Publié le 26 janvier 2021 à 16:42

Pour la deuxième carte postale hivernale, je voudrais vous parler de quelque chose, un souvenir d’enfance, pas très politique faut dire... quoique... J’aborde l’écologie, l’anti-consumérisme et le vivre-ensemble : Merlimont. Vous connaissez sans doute. Il y a la mer, les dunes, des noms de maisons avec des jeux de mots marrants. Mais à Merlimont, il y a aussi des lapins. Avec mon copain Damien, on y passait une partie de nos vacances, chez Tata Françoise. Elle avait une caravane très bath dans son jardin. C’était notre repère. Un jour de juillet, devant la mer, c’était en 1977, Damien me dit : « Demain matin, on ira regarder les lapins dans les dunes. » Je trouvais que c’était une chouette idée. Cela nous changerait de l’aller-retour quotidien Berck/Merlimont. De plus, je n’avais jamais vu de près des lapins. Damien a commencé à m’expliquer : « Faut pas croire, mon vieux. C’est du boulot que de voir les lapins dans les dunes. Voilà comment nous allons faire. D’abord, on ira voir l’épicier pour lui demander de veilles carottes fourrées au pourri, donc invendables. » « D’accord » que je dis. Je trouvais ça rudement malin de sa part, mais je n’étais pas rassuré. Il me faisait un peu peur, l’épicier. Il s’appelait Gilbert. Il était très grand, très maigre et très chauve. Il me rappelait le très méchant d’un vieux film. J’ai appris plus tard que c’était Nosferatu de Murnau. Damien repris : « Donc, il va nous donner des veilles carottes, et on les mettra dans le frigo. Après, on ira voir René pour lui emprunter des pelles. » René, c’était le voisin. Il était vieux, mais avait des cheveux longs, une veste à franges, une moto. Il paraît qu’il était célèbre, qu’il avait travaillé dans la musique. Il était très rigolo et nous appelait « les chiens fous ». Damien avait tout prévu. « Après, on fera 4 heures, on se reposera. Parce qu’il faudra être en forme. Après la sieste, on prendra les pelles et on ira dans les dunes. Et là, on fera un trou. Mais attention ! Grand le trou. Un trou ou l’on pourra se cacher complètement. Il faudra juste que notre tête dépasse. » « D’accord » que je lui dis. J’étais toujours d’accord avec Damien. C’est pas qu’il était plus vieux, mais il était plus grand et il avait un jour rencontré Jacques Martin qui lui avait dit qu’un jour, il serait acteur. J’étais impressionné. « Et après ? » J’étais de plus en plus excité. « Après, on rentrera chez un souvenir d’enfance, pas Tata, on mangera et on se couchera tôt. On mettra le réveil à 5 heures du matin. Ben oui, mon vieux. Il faudra que l’on soit prêt quand le soleil se lèvera. » Moi, je trouvais ça quand même tôt, mais j’ai dit « d’accord ». « On se lèvera, on prendra les carottes, des couvertures, et on ira au trou que l’on aura creusé. » « D’accord ». « Arrête de toujours dire “d’accord”. » « D’accord. » « Et quand on sera au bord du trou, on mettra les carottes tout autour. Mais pas trop loin. Il faut que l’on puisse les voir, et elles aussi. On se mettra dans le trou, on prendra les couvertures parce qu’il fera froid, et on bougera plus. Au bout d’un moment, les lapins viendront manger les carottes, et on pourra les regarder. » Dans la journée, nous avons fait tout ce que Damien avait dit. En plus des carottes, Gilbert nous avait donné un chou et des pommes de terre. René n’avait qu’une pelle et j’ai le souvenir d’avoir beaucoup plus creusé que Damien. C’était un sacré trou ! On a préparé les couvertures. On s’est couché tôt aussi. Le seul truc qui ait foiré, c’est que ce matin-là, on n’a pas entendu le réveil. Aujourd’hui, Damien est acteur.