Les souvenirs de JPM

« Les Ramones et moi »

Publié le 31 décembre 2020 à 12:35

Ce matin-là, gare de Bourges, je partais pour une tournée militante en Italie organisée par un metteur en scène languedocien rencontré au stand de l’Hérault à la fête de l’Huma. L’idée était de faire de l’Agitprop sur les places de villages, dénoncer le capitalisme, la répression kurde, blasphémer un peu sur Jean-Paul II et organiser des débats pour changer le monde. Nous étions un peu des « indignés » avant l’heure. Nous étions aussi un peu quatre. Nous avions accepté de n’être payé qu’en carthagène, alcool languedocien fabriqué par le beau-frère dudit metteur en scène. La veille au soir, j’avais assisté à un concert mythique : les Ramones et les Pogues avec au chant Joe Strummer. J’étais remonté à bloc, prêt à en découdre. La révolution n’était pas loin. Voici donc l’histoire : Il est 10 h ce matin d’avril 1992. Le train pour Lyon est annoncé avec 30 minutes de retard. Pas grave ! À quelques mètres de moi, sur le même quai, les Ramones eux aussi l’attendent. Il n’y a personne d’autre, qu’eux et moi. Je vais passer quatre heures dans le même train que les Ramones, peut-être même dans le même wagon ! Un truc de malaaaaade ! J’envisage alors sérieusement le même compartiment. J’ai dans mon sac mon avance sur salaire, une bouteille de carthagène que je leur sortirai le moment venu. C’est la chance de ma vie. Je m’approche d’eux et, dans un anglais approximatif, je leur dis : « I’m so happy to see you. My name is JP. [1] » Et j’en profite pour leur demander une cigarette. Cette clope, je vais la mettre sous verre, puis la donner à l’enfant que je vais avoir un jour avec la femme que je n’ai pas encore rencontrée, puisque dans mon idée, elle devrait venir des îles Samoa, à cause de la chanson de Jean-Claude Darnal dont j’aime secrètement la fille, pianiste et danseuse, qui m’a été présentée par son grand frère Thomas, pianiste de la Mano Negra. Cette clope sera mon héritage le plus précieux. Mais revenons aux Ramones. Je sens que le contact entre eux et moi ne va pas être simple à instaurer. Ils me regardent, un peu méprisants. « Merde ! Pour une fois que je n’ai pas mon Perfecto !  » Le seul truc que je trouve à leur dire est : « Bourges is a beautiful town, isn’t it ? [2] » Pathétique. À leurs yeux, je ne suis qu’un naze, c’est certain. Franchement péteux, je vois Dee Dee Ramones qui éternue, devant moi. Génial ! Dee Dee Ramones, vient d’éternuer devant moi, comme devant un vieux pote ! Cherchant à attirer un tant soi peu l’attention, je joue alors mon va-tout. Connaissant la propension des Ramones à boire, je sors la bouteille de carthagène et, direct au goulot, pour leur montrer que moi aussi, je n’ai peur de rien, que moi aussi, je suis du genre destroy [3], même à 10 h du matin, je bois d’une traite un bon quart de la bouteille. Pour ceux qui ne connaissent pas le cathagène, c’est quand même 1 litre d’alcool à 90 °C, mélangé à 6 litres de moût de raisin pour arriver en deux ans à 22 °C. Je leur tends la bouteille, ils la reniflent... et c’est tout. Rien d’autre. La suite fut lamentable. Le train n’arrivait pas. Je finissais la bouteille en solo pour ne me réveiller sur le quai qu’une heure plus tard, malade comme un chien. Le train était parti, avec les Ramones dedans. Je rejoignais la tournée italienne deux jours plus tard. Elle s’achevait peu après. Pas de public et plus de carthagène. Aujourd’hui, Joey, Dee Dee et Johnny Ramones sont morts. « OK... I gotta go now. [4] », c’est la phrase écrite sur la tombe de Dee Dee Ramones. Je trouve ça très classe.

Notes :

[1Je suis tellement content de vous rencontrer. Je m’appelle JP.

[2Bourges est une belle ville, non ?

[3Attitude, look provocateur, proche du mouvement punk.

[4Bon... Je dois y aller maintenant.