Dans la hotte du Père Noël

Paquets enrubannés offerts aux enfants, livres en habit de fête : êtres vivants et non simples objets.

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 18 décembre 2020 à 16:39

Abécédaire, croisière épique et généreuse > Un Ananas dans un bateau de Francesco Pittau Comment combiner la découverte des lettres de l’alphabet avec un récit, une aventure en mer ? Francisco Pittau nous convie à un voyage surprenant de 212 pages alors qu’il ne compte que 27 escales de A à Z : cette croisière nous emmène à la découverte de sites cachés, paysage de plis et de replis. Et à chaque port de relâche, en soulevant le rabat, un animal saute dans le bateau, risquant de le faire chavirer. À l’étape suivante, un autre animal rétablit l’équilibre. Commence dès lors une odyssée conviviale qui rivalise avec l’Arche de Noé du fait de la présence pour certaines lettres d’animaux exotiques. Ce périple débordant de situations cocasses se caractérise par une franche hospitalité : les passagers venus d’ailleurs sont accueillis, la fraternité est au rendez-vous et tous les participants montent même un spectacle de cirque. En plus de l’apprentissage de l’alphabet, une prime : les enfants peuvent s’amuser à dénicher les animaux dont la forme épouse le contour des nuages. Humanité, intelligence et fraîcheur et des valeurs qui ne sont pas galvaudées.

Un Ananas dans un bateau, Francesco Pittau, Seuil Jeunesse, 3/6ans, 15,90 €.

Entre chien et loup, bonhomie mordante > La double vie de Médor d’André Bouchard À la nuit tombée, dans un des beaux quartiers d’une ville, un loup affamé, efflanqué, rôde. Un fumet agréable vient titiller ses narines, il gratte à la porte d’une imposante et luxueuse demeure. Une dame âgée croit voir un chien abandonné, elle l’invite et finit par l’adopter. Chaque jour le couvert est mis, délicieux. En échange, notre loup subit toutes les avanies : collier avec médaillon Médor, ruban entre les oreilles, manucures, bains moussants, bonnet et chaussons sous l’œil étonné des pigeons, petits fours… Mais lorsque sa maîtresse meurt, il n’a plus sa pitance, il erre, débouche sur un terrain de jeux où des enfants s’égayent. Sourde épouvante, réveil des instincts sauvages ? Il bondit et on le retrouve bedonnant dans le bac à sable vide. De quoi s’est-il repu ? Le graphisme est sidérant. L’étrange atmosphère de la rue la nuit et des demeures effilées, propre à suggérer un climat d’angoisse, est accentuée par l’allure du loup tout en angles aigus. Mais en même temps le comique s’avance à petits pas dans une sorte d’entre deux pirouettant entre crainte, farfelu et dérision.

La double vie de Médor d’André Bouchard, Seuil Jeunesse, dès 4 ans, 24 x 31 cm, 40 pages, 14,90 €.

Un épatant regain d’enfer > Petit Vampire de Joann Sfar, le coffret BD La « naissance » de la BD est connue de tous. Michel un orphelin, élevé par ses grands-parents un peu fantasques, constate un matin que ses devoirs ont été faits sans lui, il rédige un petit mot à destination de ce mystérieux collaborateur. La réponse ne tarde guère : « Je suis un vampire. » Ils deviennent complices et le cercle d’amis, vampires et autres créatures surprenantes, s’élargit. Les éditions Rue de Sèvres proposent un coffret avec Le Serment des pirates, La maison de la terreur qui fait peur et On ne joue pas avec la vie. « Avoir 10 ans éternellement dans une demeure protégée »… aucun souci, mais quand les siècles se succèdent, l’ennui menace même si la bande de petits monstres, joyeux drilles, mène la danse. Petit Vampire aspire à connaître le monde et partager son quotidien avec son fidèle et bon copain Michel, qu’il faut protéger car l’humain est mortel. Et ce d’autant plus que le malfaisant Gibbous rôde autour de sa maison. Petit Vampire et ses amis, ne mesurant pas les risques qu’ils encourent, s’élancent à sa rencontre. Pandora sa maman et le Capitaine des Morts partent à la rescousse. Galion contre jonque, face-à-face ultime, ça canonne de toutes parts… Les scénaristes Joann Sfar et Sandrine Jardel nous entraînent dans une histoire follingue et trépidante, tirant les aventures de Petit Vampire et de Michel vers la féerie fantasmagorique d’un spectacle bariolé qui bouge dans tous les sens. Les dessins de Joann Sfar, en symbiose totale avec le dynamisme de l’action, fourmillent de détails et ce dans un déluge de formes et de couleurs que Brigitte Findakly fait varier à loisir en fonction des situations. On ne compte plus le nombre d’albums qu’ils ont réalisés et pourtant leur imagination n’est pas entamée malgré la cadence frénétique de travail et leurs capacités d’invention se déploient à chaque nouvelle création.

Petit Vampire de Joann Sfar, éditions Rue de Sèvres, Coffret 24,8 x 32,8 cm, 180 pages, 39 €.

La Mémoire et l’oubli > La Passoire de Clarisse Lochmann Une petite fille cherche à se remémorer son rêve qui se dérobe. Elle le raconte, le commente : un récit imagé lacunaire, mémoire défaillante dont elle traque les moindres sursauts, une marqueterie dont les éclats s’éparpillent pour s’imbriquer à nouveau. Certains détails s’intensifient, subsistent fermes et précis (arrosoir, maisons, lune), d’autres, traces diffuses, s’estompent. Le grand art de Clarisse Lochmann est d’avoir su le traduire par une plastique appropriée : crayon, encres de couleur et numérique, combinaison propre à rendre le surréel des songes. Comme les souvenirs sont flous et que la fillette tente de dessiner l’espace de son rêve, elle apparaît à plusieurs reprises dans la même image sur une double page : silhouettes décalées qui se superposent partiellement, contours flottants. Le jeu d’opacités et de transparences, les aplats de couleurs translucides d’une souplesse mouvante confèrent un dynamisme peu commun. D’autre part, l’auteure est parvenue à rendre les couleurs lumineuses dans cette nuit étoilée et ainsi à faire vaciller l’enténèbrement alentour. De plus, des pointes d’humour s’invitent et neutralisent quelque peu la mélancolie qui s’attache à la fugacité des souvenirs, ces moments d’intense émotion que filtre la mémoire. Merveilleuse signature graphique, véritable offrande au regard des enfants et des parents qui trouveront de quoi méditer.

La Passoire, Clarisse Lochmann, éditions de l’atelier du poisson soluble, 56 pages, couverture cartonnée, 16 €.