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Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Ali Boukacem, directeur de l’espace culturel Ronny-Coutteure de Grenay

Publié le 18 novembre 2021 à 22:17

Je ne pensais pas qu’il était possible d’avoir une chien plus moche que Günther. Ali s’était pointé au bar avec Scarpi, son bâtard borgne. Les deux clebs avaient vite sympathisé. Ali buvait sa blonde en me racontant qu’il était né Cité 5 du Maroc à Grenay. « Mes parents venaient des montagnes algériennes, arrivés en France en 1961 pour “réorganiser l’économie française” dans les mines de Douai, puis Grenay. Six ans après, j’y naissais, rue de Bourgogne. » Cette histoire d’immigration familiale, Ali me la racontait comme une épopée, avec moult détails, anecdotes parfois sordides, déceptions, pointant les incohérences d’une époque où la décolonisation était loin d’être digérée par l’État français. Ali en était fier. Elle était le socle de ce qu’il était aujourd’hui. « Après ma scolarité à Grenay, j’ai fait des études de philo. Je me posais des questions sur Dieu, ne me contentant pas de la réponse de ma mère : “C’est comme ça.” Ratant ma première année, j’ai perdu ma bourse. J’ai dû travailler, des petits jobs dans l’éducation populaire à Roubaix, de l’aide aux devoirs, de l’animation. » Il avait déjà une grande gueule. Il monte une section syndicale CGT à la Catho suite au mouvement Devaquet. « Bénéficiant d’une bourse pour devenir travailleur social, mes parents furent fiers que j’entre dans la République. J’allais régler mes comptes avec la France et l’intégration. » Ali était une histoire de l’immigration à lui tout seul, un témoin actif. Les copains de La Chope, certains issus du Maghreb, l’écoutaient. Günther et Scarpi se reniflaient le derche. « En pleine année noire en Algérie, j’ai appris que je devais faire mon service, soit là-bas, soit en France. Mais je fus déclaré pupille de la nation. J’allais être papa. Je travaille alors à Somain, Lille sud et revient à Grenay après avoir été major de promotion au concours d’assistant social. » C’est ainsi qu’il y a 20 ans, il crée le centre culturel Ronny-Coutteure. « La culture est un sport de combat. J’avais pour mission de mettre en mouvement ce lieu, tirer vers le haut un territoire en souffrance, y créer du lien social, des ateliers de pratique artistique, avec une équipe engagée et militante. On pense toujours que l’on peut changer la vie des gamins, que certains auront des clés pour rendre le monde meilleur. C’est possible grâce à la culture. » La plus grande fierté d’Ali était d’avoir mis en place l’estaminet et la médiathèque, des tiers-lieux innovants : « L’Éducation nationale ne peut pas tout faire, l’éducation de la maison sert de structure. L’éducation populaire est là pour donner des clés à la compréhension du monde, comprendre les blocage de la société pour mieux les combattre, un monde qui nous ressemble et nous rassemble. » Passionné par les migrations, Ali voudrait écrire sur l’histoire des étrangers venus travailler à Grenay. « J’ai des milliers de fiches les concernant et qui auraient dû être détruites. J’aimerais leur rendre hommage. » Avant de partir faire son jardin, il appela Scarpi en me disant : « C’est pas un chien, c’est un prototype. » Günther péta de tristesse à son départ. La vie n’est qu’une suite de séparations.

Plus d’infos : ronny-coutteure.fr.