Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Dimitri Vazemsky, livreur

Publié le 28 décembre 2021 à 12:10

« Un vin de noix » qu’il dit à Samir. Ce dernier me regarde incrédule. « Plutôt un Pontarlier. » Même regard de Samir. « Non. Un café. » Soulagement de Samir. Quand Dimitri parlait, il avait toujours la connerie au coin des yeux, la petite lueur rendant les paroles légères. Il avait grandi dans la région des Weppes. « J’ai fait une term scientifique. Un échec. J’ai alors fait littérature anglaise. Étudiant, je vendais des comics rue de la Monnaie à Lille. Je suis parti enseigner le français en Irlande à l’Université de Galway. Je suis “un peu bon” en littérature élisabéthaine, sur le méta-théâtre d’Hamlet. » Et de rajouter ironiquement : « On m’a dit un jour que j’étais le plus shakespearien des artistes des Hauts-de-France. » Quittant « la fac pour la Fnac », il écrit son premier roman policier se passant à Wazemmes. « Je devais le publier aux éditions Baleine. Mais Jean-Bernard Pouy trouvant le livre “pas assez Poulpe”, j’ai créé ma maison d’édition « Nuit Myrtide » pour vendre mon bouquin sur le marché. » Il part alors faire la route pour un projet de livre sur Victor Hugo. « Je cherchais un village en Inde qui, paraît-il, lui porte un culte. Je travaille sur les coïncidences de la route, sur ce qu’elles provoquent dans le monde. En août 1999, je pars donc pour l’Inde avec cette idée sur la synchronicité des coïncidences. Je finis chez les Bauls, caste de poètes troubadours du Bengale. Mais j’apprends que la rumeur sur laquelle je bosse est tronquée, que ce village vénérant Victor Hugo n’est pas en Inde, mais au Vietnam. » Dimitri envisage son travail littéraire comme une constante recherche de liberté. « Créer une maison d’édition, c’est se libérer de toute contrainte éditoriale. » C’est en 2004 qu’il écrira son premier mot, « EXIT », en lettres rouges sur la plage de Zuydcoote. « Ces lettres, c’est une idée hyper simple. Elle vient d’un rapport au paysage d’enfance, les Weppes, plat pays au grand silence. Mettre des mots dans le paysage, c’est peut-être du land art, mais je suis plutôt sur un art conceptuel. Je cherche le mot au plus près du paysage et ce qu’il voudrait faire dire. » La connerie au coin des yeux, Dimitri parlait joliment de son travail, de ses lettres rouges, « de littérature hors les livres », « de poésie transdisciplinaire », me parlant de lui, mais aussi de nous, « êtres de sensations obligés d’y mettre des mots défectueux et lacunaires ». « L’art est expériences », me dit-il au détour de la conversation, « un jour plasticien, un jour écrivain, un jour branché anthropologie, voulant mettre en place l’Anthropoésie, qui ne serait pas une discipline scientifique, mais de recherche pur. Par l’intuition, l’artiste a toujours une longueur d’avance sur le scientifique ». Ses lettres rouges ont pu être vues à Leffrinckoucke, Dunkerque, en Belgique ou en Espagne. Avant de partir, il me conseilla de lire Le démon de la Colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie, puis me précisa que Bob Kane avait créé le Joker après la lecture de L’Homme qui rit de Victor Hugo. Il rajouta que « plus une société est civilisée, plus l’auto-contrôle est important », pour enfin demander de nouveau à Samir un vin de noix, la connerie au coin des yeux.

Pour en savoir plus : vazemsky.com et nuitmyrtide.com.