Les Chroniques de JPM à la Chope

Rencontre avec Johanna Classe, chorégraphe

Publié le 28 août 2020 à 17:51

Pas le temps de passer chez moi. J’avais garé Mémère sur le trottoir devant La Chope, Günther attendrait bien une heure que j’aille le récupérer. Les vacances étaient finies et j’avais rendez-vous avec Johanna Classe. J’étais à la bourre, elle pas. Tee- shirt blanc, jupe courte en jean, elle prenait son café en regardant passer les gens. « Désolé » que je lui dis.« Y’a pas de mal » répondit-elle avec un sourire à tomber. J’ai vite compris que nous ne parlerions pas que de danse. Johnanna fait partie de ces gens dont les paroles ouvrent des portes, donnent à voir le monde autrement. Parler avec elle rend moins con, tout simplement. Enfant, à Calais, elle dut choisir entre le piano et la danse. Le choix fait, elle s’investit à fond : « J’ai vite adoré danser, me sentir traversée par la musique. Et comme je suis perfectionniste, j’y passais des heures. C’était une bouée de sauvetage. »

Brillante élève, elle passe un bac scientifique, adorant aussi le grec et le théâtre. « J’étais curieuse de tout. » Sans rentrer dans les détails, la vie est parfois merdique. Johanna en fit l’expérience. Alors, elle se réfugie encore une fois dans les études, la linguistique à la Fac. « J’avais dû arrêter la danse. Ce fut difficile pour moi de n’être que dans une démarche intellectuelle. Cela n’a pas duré. Je m’en suis sortie en refaisant de la danse. Surtout africaine et brésilienne, des danses de percussions, où l’on évacue la violence. J’avais trop d’énergie. Je n’étais jamais épuisée. Je prenais des cours sans thune, je resquillais pour y aller. Je volais à manger dans les magasins. Une période difficile. Pour vivre, je posais et étais gogo girl. J’ai intégré la Compagnie La Mandragore. On faisait des performances. »

Mais c’est avec Bruno Lajara pour le spectacle « Ne Pas » que tout a basculé. « Devenue intermittente, j’ai pu partir au Brésil et me passionner pour la samba, le carnaval, le candomblé, comprendre l’origine sociale et spirituelle de ces danses. » Johanna devient alors intarissable. « J’ai vu autrement la batucada. C’est un art de rue politique, un art pour pouvoir s’affirmer. Il y a une part guerrière, une guerre résiliente. C’est aussi le rapport au corps, l’affirmation de soi. Les femmes dénudées avec des strings, des paillettes et plumes se réapproprient leur corps, elles l’assument. L’histoire de ce peuple a résonné avec ma propre histoire. » C’est vrai qu’à travers ces danses, Johanna parlait d’elle. Du plomb, elle faisait de l’or. Aujourd’hui, elle travaille pour l’association Atabak. Avec sa compagnie Biscoitinho, elle a créé le spectacle de danse burlesque « Samba toi », avec Lydie Fruleux.

Mais une grande partie de son temps est actuellement consacré à l’étude de notation de danse, écrire les mouvements comme on écrit la musique. « J’étudie le système du conservatoire de Paris, le système Benesh, du nom de son créateur, créé comme aide-mémoire pour les ballets. Sollicitée par la chorégraphe chercheuse Fanny Vignals, je travaille à mettre en partition des danses Orixas Echou, (divinité candomblé) pour le projet “La bouche du monde”. » En partant, elle me dit : « La danse est un beau vecteur de joie. Le corps nous permet de nous sentir vivant. » Sûr qu’elle était vivante ! Nous avions passé beaucoup de temps à La Chope. Je serais incapable de dire qui y était présent de matin-là. Je sais seulement qu’au départ de Johanna, j’étais juste moins con.