« Regardez, c’est JPM, le propriétaire de Günther, le chien handicapé qui joue dans la série télé. » Les gens se retournaient régulièrement à mon passage depuis le reportage photo dans Chien mon ami. Je venais de signer un autographe sur une boîte de Royal Canin devant La Chope, sous le regard incrédule de Louise Wailly. « T’es vachement connu » qu’elle me dit. « C’est pas moi, c’est mon clebs... » J’étais navrant. Pourtant, je voulais lui faire bonne impression. Louise est fille du Nord, issue d’une famille bien éloignée du monde du théâtre, sauf un grand-père qui aurait tant aimé voir sa petite- fille jouer des classiques à la Comédie Française. C’est dans les squats qu’elle commencera. Mais elle nommera sa compagnie « Protéo » du nom d’une pièce de son grand- père. Son truc, c’était la libre parole dans le métro, la rue. Elle écrivait des textes qu’elle rappait. « Je ne le savais pas encore, mais c’est du théâtre que je faisais. C’est devenu évident au lycée option théâtre, puis à l’ESAD de Bruxelles. J’ai compris que le théâtre était le média le plus puissant qui liait l’écriture et la parole publique. Depuis, je n’imagine pas monter sur un plateau sans n’avoir rien à dire. » Puis Louise m’a parlé de sa jeunesse chaotique, des squats et de la chance d’avoir fait « les bonnes rencontres, politisées et anarchistes ».Depuis, avec sa compagnie, Louise « dit » des choses, fondamentales pour elles, ce qui fait sans doute sa force de persuasion et de conviction. Nulle trace d’arrangements, ni de démagogie. À tel point qu’à ma question sur le fait d’être une femme dans ce métier, sa réponse fut évidente : « J’ai pu subir le fait d’être femme sur le plateau, mais pas en temps que metteuse en scène. Je ne suis pas reconnue par le seul fait d’être une femme. Je m’en fous des quotas, des trucs de féministes. Ce n’est pas mon approche. Je ne fais pas de spectacle sur les femmes, traitant par exemple de l’endométriose ou sur la condition féminine. Ce n’est pas mon entrée. » Le temps pressait. J’aurais aimé lui poser des questions sur son voyage dans le Chiapas au Mexique, ses rencontres de communautés zapatistes pour son spectacle Une certaine dose de tendresse, sa façon si journalistique de travailler sur un sujet. Elle lit, elle rencontre, voyage, se nourrit des autres pour aborder un sujet. Il y a décidément beaucoup d’humain dans son travail. Elle venait de faire de même pour son prochain spectacle L’Apocalypse selon Günther, texte qu’elle a co-écrit avec Thomas Jodarewki à partir du livre de Günther Anders, L’obsolescence de l’homme. Partie au Japon rencontrer des Hibakushas (survivants des bombes atomiques) et des ingénieurs nucléaires, Louise nous proposera les 13 et 14 octobre à la Maison Folie de Wazemmes une réflexion qui, me promet-elle, sera « drôle et satirique, mêlant humour noir et sur- réalisme » sur le monde d’après Hiroshima, ce passage mortifère entre nucléaire civil et militaire qui fait que plus jamais nous ne pourrons penser l’humain comme avant. « Nous sommes des morts en sursis » me dit- elle. « À mon retour, j’étais bouleversée. J’ai été en dépression pendant un an. » « Qu’est-ce que tu aimerais que les gens pensent à la fin de la représentation ? » lui demandais-je. « Oh ben merde, putain. Je savais pas tout ça ! » me répondit-elle dans un éclat de rire. Puis elle partit en trombe chercher son enfant après m’avoir demandé un autographe. « J’aime bien les chiens » qu’elle me dit. « Moi pas » que j’ai eu envie de répondre. Navrant.
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