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Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Michel Grabowski, responsable culturel à Avion

Publié le 15 octobre 2021 à 13:16

Je n’oublierai jamais la tête de Samir devant l’absence de Guinness pression que Michel venait de lui commander. Mais il était pas bégueule, pas exigeant. Tant que la binouze est fraîche. Michel avait grandi à Biache-Saint-Vaast, né d’une mère ouvrière textile, et d’un père ouvrier tourneur, « bringueur, rentrant tard le soir, mais aussi militant communiste. J’étais destiné à être ouvrier, ce que je fus pendant cinq ans comme soudeur ». C’est le sourire au lèvre que Michel me raconta son premier voyage à Lille, à 16 ans, pour la fête des Jeunesse communistes. « On ne payait pas l’entrée et on te donnait la carte du PC. Ce jour là, j’ai découvert l’ambiance des stands, des buvettes, des animations. Je m’approchais d’une scène. C’était Claude Nougaro. Mon premier concert qui m’a marqué à vie. » Militant alors au PC, tractant sur les marchés, il rejoint LO à 18 ans. « J’allais aux réunions en stop à Lille. J’y ai découvert la lecture, le cinéma d’auteur, m’ouvrant l’esprit. J’avais créé une association. On organisait des ateliers de danse, théâtre. » Se disant déjà que « si je restais plus de cinq ans à l’usine, j’y serai toute ma vie », il entame une formation pour travailler dans le socio-culturel. Il est arrivé à Avion en 1987 pour diriger le centre culturel Fernand-Léger. Il crée alors le service jeunes qu’il va diriger jusqu’en 2001, puis le centre culturel Jean-Ferrat. Voilà pour l’historique. Mais Michel n’était pas à se complaire dans l’évocation de sa vie passée. Il était dans le présent, dans ses combats quotidiens, plus que jamais militant. À peine s’il touchait à sa bière en me parlant de sa passion pour la culture. « La région de Lens est sinistrée, la population dans un état de pauvreté qui se transmet, qui est loin de la culture. Il faut l’y attirer. Je pourrais être à la retraite, mais je veux continuer. J’ai besoin de ce contact avec les gens. C’est une manière de militer, pas de façon idéologique mais dans les chemins de l’éducation populaire. J’ai vu 30 spectacles cette année à Avignon. La culture ouvre la conscience des gens, peut les aider à sortir de l’ornière. » Puis il rajouta : « Il y a aujourd’hui une perte de repère. J’ai connu la classe ouvrière. Jusqu’en 80, on était sur un rapport de classe sociale, les gens étaient fier d’être ouvrier. Aujourd’hui, la société a effacé l’appartenance à une classe sociale. On a individualisé les rapport entre gens. » Samir s’était rapproché pour ramener quelque cacahuètes et s’excuser encore pour la Guinness, écoutant bouche-bée Michel. « Étant modeste, je me contente de ce que j’ai, mais je pense être pertinent dans mes choix de programmation. Je travaille beaucoup avec les compagnies régionales qui connaissent mon engagement. » Comme un leitmotiv, il insistait sur la nécessité de se serrer les coudes entre artistes, se refusant de jouer le jeu des spectacles vidés de contenus politique. « C’est une politique mortifère. C’est pour cela qu’a été créé le festival Les Utopistes debout. » Quand il avait créé le service jeunesse, il avait imposé ce slogan : « Aujourd’hui t’es jeune, demain, c’est toi qui mène la ville. » En guise d’au revoir, il me dit : « Il faut croire en ses inspirations, en ses rêves. Il faut regarder autour de soi, s’engager autour de soi. Je suis triste des replis communautaires. Il faut créer les résistances autour de soi. » Samir voulut le retenir en lui offrant une bière. Michel n’était pas bégueule. Il dit « merci » et partit.