Le Sucre de Jacques Rouffio sur Arte

Spéculation et farce grinçante bien enlevée

par Alphonse Cugier
Publié le 7 mai 2020 à 16:56

Adrrien Courtois, petit notable de province et petit épargnant (Jean Carmet), conseillé par le vicomte de la Vibraye dit Raoul (Gérard Depardieu), transforme la fortune de son épouse en actions boursières sur le sucre. Le Raoul, intermédiaire véreux,travaille pour le Roi du sucre (Michel Piccoli) qui orchestre en coulisses.

Comment faire grimper le cours du sucre alors qu’il a pléthore et surproduction de betteraves ? Dissimulation des stocks, proclamation de la pénurie, panique de la population, flambée de la cotation... puis annonce de réserves considérables, effondrement des titres et plongeon. Le film repose sur le krach qui secoua la Bourse en décembre 1974, déroute financière que nos gouvernants ont mis plus d’un an à éponger (les aigrefins n’ont pas payé, c’est le contribuable qui a été invité). Les deux auteurs, Jacques Rouffio et le scénariste Georges Conchon ont concocté en 1978 une farce jubilatoire caustique tout en offrant au spectateur une implacable et véloce saisie des rouages de la Bourse et des lois du marché spéculatif à terme, volatilité des cours et amplitude des fluctuations.

Renvoi d’ascenseur

Adrien, le boursicoteur novice exultant puis ruiné pense à se suicider mais le Raoul qui s’est découvert un ami en celui qu’il a grugé le sauve et tous deux s’allient pour faire rendre gorge aux canailles affairistes en employant les mêmes recettes délictueuses. Dès lors se noue une sorte d’idylle réparatrice foldingue. Le film ne lésine pas sur les moyens, réussit à être excessif sans provoquer de rejet. Pas de messes basses mais un assaut tonitruant, cocktail hautement explosif : c’est dans une sorte d’entre-deux pirouettant entre férocité et cocasserie que le récit avance, construit avec la sûreté d’un maître artificier qui s’adonne allègrement aux joies de la bouffonnerie intelligente. Les personnages taillés à coups de serpe sont sur le même registre, servis par des acteurs aguerris à la mécanique de la démesure : Depardieu et Piccoli, deux ogres généreusement envahissants, possèdent l’art de bousculer le scénario, amenant le grain de folie et de mégalomanie qui le pimente et l’enrichit. Un zeste anarchique et amoral porte et emporte la farce et le pamphlet politique vitriolé greffés conjointement.Néanmoins le retour de manivelle désamorce quelque peu la charge : le fait que les victimes dupées renvoient la balle aux escrocs ne peut que réjouir le public, majorité silencieuse, mais il relève d’un match nul qui satisfait pleinement les instances dirigeantes qui peuvent se laver les mains.