Livres illustrés, livres d’artistes,livres de rencontres, livres de dialogues... Quelle que soit l’appellation, ces ouvrages où mots, dessins, figures géométriques entrent en conversation, élargissent notre approche de la littérature rature et de l’art. L’exemple le plus connu date de 1862 : les Contes de Perrault (Le Petit Chaperon rouge, Barbe Bleue) avec les gravures sur bois de Gustave Doré qui illustra une quarantaine de livres, images naissant à la lecture. À l’inverse, Delacroix se servit du Faust de Goethe pour explorer une nouvelle peinture, laissant libre cours à son imagination tandis que Zola s’est employé à trouver des mots pour présenter l’art de Manet. Même si Oudry, Boucher, Fragonard ont œuvré dans ce domaine, c’est le XIXème siècle qui a multiplié les « traductions » d’ouvrages en images accompagnantes.
Noces de la littérature et de l’art
Au fil d’une promenade-réflexion, Julien Bogousslavsky nous fait découvrir des livres rares, parcelles précieuses de la mémoire du monde. Et voici relatée et visualisée, dans cet ouvrage qui marie l’attrait du beau livre à une étude de haute tenue, précieuses informations sur l’histoire de chaque livre y compris le travail d’impression et de reliure, une centaine d’années de création, de fusion entre peintures, gravures et écriture (le texte, roman ou poème mais aussi dédicaces et messages d’amitié). Véritables noces entre les mots, les encres et les couleurs, entreprises de complicité et d’une immédiate reconnaissance mutuelle. Un parcours qui nous mène des aquarelles d’Hiroshige illustrant les sites Sur la route du Tokaido aux surréalistes dont en particulier Max Ernst, maître illusionniste qui découpe, superpose, colle revues scientifiques, catalogues commerciaux, romans feuilletons. Cette hybridation s’inscrit dans le droit fil de l’écriture automatique chère à Dada, André Breton et consorts. Combinant décor réaliste et fantastique, les romans-collages La Femme 100 têtes (1929) et Une Semaine de bonté (1934) sont dotés d’une inventivité sans entrave et d’un imaginaire qui renoue avec l’inconscient.
Les autres jalons de ce Siècle de livres se nomment notamment Victor Hugo, écrivain peintre utilisant les pochoirs et l’encre étalée ou diluée, Gauguin qui nous étonne en réalisant une BD pour un petit garçon séjournant près de Pont-Aven quand Sérusier, Vuillard, Vallotton, Bonnard visitent les œuvres de Jules Renard, Paul Fort, Alfred Jarry... En 1910, Steinlen met au grand jour la misère sociale en illustrant La Chanson des Gueux de Jean Richepin. Edmond Bille (gravures et gouaches) dénonce dans Une Danse macabre (1919) les profiteurs d’une sale guerre et la mort en service commandé. Au terme de la lecture, il n’est plus possible de dire que les illustrations, les ajouts manuscrits de l’auteur ne sont qu’un agrément mais qu’ils font corps avec le texte et le lecteur à qui ils sont dédiés. On tourne les pages et un siècle de création romanesque et poétique, graphique et picturale s’offre à nous : une anthologie de référence.
De Delacroix aux surréalistes. Un siècle de livres, Julien Bogousslavsky, éditions Ides et Calendes, avant-propos de Jean-Yves Tadié, index, 200 reproductions en quadrichromie, 364 pages, 45€.