Disparition

Un vaillant résistant n’est plus

par Franck Jakubek
Publié le 22 mai 2020 à 13:10 Mise à jour le 27 mai 2020

René Moreu n’aurait de toute façon pas vu le Tour de France cette année. Cet illustrateur génial qui mit longtemps en page Miroir du cyclisme nous a quittés.Mais quand même, ce ne sera pas pareil sans lui.

Ancien résistant, peintre et illustrateur, ce fils de cafetier est né à Nice.Très tôt, il devint apprenti au Petit Marseillais. Ces années d’imprimerie forgent son amour du plomb, des lettres et ses premières armes de militant. En 1940, il préfère le maquis aux chantiers de jeunesse. Et se plonge dans la presse clandestine, avec Le Jeune Patriote. Paris libéré, il retourne à ses premières amours et rejoint La Marseillaise. Le Parti communiste lui confia la destinée de Vaillant, le grand ancêtre de Pif Gadget, dont la jeune équipe, tout juste sortie de la résistance, veille à donner à la jeunesse une bande dessinée de qualité et fait émerger de jeunes auteurs.

Un pionnier dans la bande dessinée

En 1950, René Moreu élargit l’offre des éditions Vaillant en créant deux journaux destinés aux très jeunes lecteurs. Il ne se contentait pas d’en être le rédacteur en chef, mais fournissait également de nombreuses histoires illustrées. À voir le trait énergique et les couleurs vives des aventures auxquelles il donnait vie, nul n’aurait pu se douter que chaque dessin était pour Moreu un triomphe sur la maladie, que chaque coup de pinceau luttait contre la cécité. Depuis ses 23 ans, il souffrait en effet d’une maladie dégénérative de la cornée qui le plongeait par période dans une semi-obscurité. Prouvant que le courage qui l’avait soutenu pendant ses années de résistant ne l’avait pas quitté, il combattit la fatalité, subit une dizaine d’opérations et s’acharna à dessiner.

L’amélioration de sa vue permit l’épanouissement de sa carrière d’illustrateur jeunesse pour les plus grandes maisons d’éditions, de Nathan à Père Castor, et de donner libre cours à sa passion de toujours pour la peinture. Dans la mouvance de l’art brut, il développa un style unique, inventant des paysages fantastiques qui ne ressemblaient à nul autre. Ses « Jardins noirs » dévoilent des floraisons singulières, semblables à une mosaïque de cellules colorées, ses « Pictogrammes » écrivent un monde imaginaire à demi-abstrait sabré de coulures sombres, tandis que ses séries de collages, où des éléments naturels s’entremêlent à de menus objets, confinent à la sculpture. Homme de convictions, il privilégia toujours les publications de la presse communiste : après les éditions Vaillant, René Moreu fut maquettiste pour le Miroir du cyclisme puis pour l’Almanach de L’Humanité durant près de vingt ans, avant de prendre sa retraite du monde des journaux et de se retirer dans son atelier de Vayrac, en Dordogne, pour se dédier totalement à son art.