Zoom sur la fac. Les universités à l’épreuve du distanciel

Virus Universitas

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 13 octobre 2021 à 17:12

« Aide-toi, le ciel t’aidera. » C’est par cette maxime qui clôt la fable de Jean de La Fontaine Le chartier embourbé que Yannick Lebtahi ouvre l’ouvrage collectif qu’elle dirige. L’expression fait florès, propice à des ensemencements féconds. Notre cocher jure, peste et s’efforce de motiver ses chevaux dont certains renâclent, ayant décroché. Il s’en remet à une puissance divine, invoque Hercule aux exploits légendaires en matière de travaux pratiques. « Hercule veut qu’on se remue. » Les magisters (professeurs en latin) se sont adressés à une autre puissance « divine », en l’occurrence au minister (serveur en latin), serveur qui doit veiller à ce que le service ne connaisse pas de ratés mais qui, tout en affichant son souci de concertation et en improvisant constamment, a compté surtout sur la providence pour s’extraire du bourbier. À l’instar d’un des quinze contributeurs, Didier Coureau, professeur en études cinématographiques resté fidèle à cet « entre » cinéma et littérature, citant nombre de réalisateurs, d’écrivains et essayistes, évoquons le film de François Dupeyron, Aide-toi, le ciel t’aidera réalisé en 2008 qui narre la journée particulière d’une femme à l’optimisme chevillé au corps durant la canicule et la surmortalité de 2003. Et peut-on dès lors reprendre la conclusion de l’Hercule de notre fabuliste : « Tu vois comme tes chevaux aisément se sont tirés de là. »

État d’alerte et passion d’agir

Le Covid a provoqué la mise en service d’une batterie de termes, véritable appellation contrôlée : présentiel, distanciel, cours hybrides, jauge, zoom (objectif à focale variable, producteur d’illusion de mouvement au cinéma, métamorphosé en tuteur et gestionnaire de l’éducation en ligne). Si on compulse les médias, la majorité des articles et débats insiste, comme le mentionne Bruno Cailler, sur « le risque de décrochage des étudiants et de burn out d’une profession comme dépassée technologiquement ». Or ces analyses ne tiennent aucunement compte de « l’accueil de l’implantation du numérique dans les pratiques pédagogiques du supérieur », il était déjà présent dans nombre de formations, précise Marie-France Chambat-Houillon qui revient sur le succès de tentatives pédagogiques. Elle rappelle la différence de traitement politique et social entre les classes préparatoires, réunies comme auparavant sans jauge alors que le distanciel était obligatoire en fac. Contact physique/connexion virtuelle : la continuité pédagogique malmenée a fonctionné en mode dégradé, « enseignants privés de l’immédiateté de l’échange qu’autorise le présentiel », difficulté d’adaptation des étudiants de première année confrontés à un mode de vie et d’étude différents de leurs années de lycée. Sylvie Dallet met en scène le télétravail des enseignants et des étudiants en évoquant la caverne de Platon, individus « enchaînés » qui ne voient du monde que des ombres. Croisement interdisciplinaire, points de vue variés : l’ouvrage recueille la multiplicité des pratiques, tout en permettant d’établir un espace de réflexion commun. En articulant les idées en circulation dans les médias avec leur propre expérience quand les mots des cours en distanciel risquent de « s’effriter » avant de parvenir à leurs destinataires, les contributeurs font part de leur réaction et, mettant en partage ce qu’ils ont imaginé et mené pour infléchir la catastrophe en cours, font de cet ouvrage un efficace instrument de lucidité et de liberté. Si la rentrée universitaire se fait à 100 % en présentiel, un problème subsiste, celui des étudiants qui, convertis au numérique à marche forcée, durement éprouvés par l’isolement et ne pouvant plus se procurer de petits travaux occasionnels, ont vu leur précarité s’accentuer, nombre d’entre eux étant désormais dépendants d’aides d’urgence.  « Transmission des savoirs et construction de la connaissance », Yannick Lebtahi rejoint ce qu’Edgar Morin écrit dans la préface : « Relever le défi de la complexité du réel », aider à apprendre, « enseigner à vivre », c’est, dans ce monde incertain, tranché et tranchant, lutter contre l’inarticulé des relations humaines causé par la crise sanitaire.

Éditions L’Harmattan, collection De visu, 206 pages, 21,50 €.