Après avoir déposé Günther chez François, le cœur serré de le laisser pour la première fois, dit au revoir aux copains de La Chope, j'avais enfourché Mémère. C'est ma vieille moto, une virago de 1997 qui approche les 35 000 km. Après deux heures de route d'une campagne avenante, champs de soleil et meules de foins, Mémère et moi rechargions nos batteries, place Raphaël-Elizé (tiens donc), devant le magasin « Les Fripouilles » (re-tiens donc), devant la mairie de Sablé-sur-Sarthe.
François Fillon y fut maire jusqu'en 2001 (tout s’explique). De la Sarthe, je ne connaissais que les rillettes du Mans et sa superbe vieille ville, décors naturels de nombreux tournages (entre autres Le Bossu de Philippe de Broca, Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau) surplombée par la cathédrale Saint-Julien, qui abrite à ses pieds l’un des plus chouette marchés que je connaisse. La vallée de la Sarthe est un territoire situé au sud-ouest de la Sarthe. En toute logique, vous devriez le traverser si vous faites Lille-Nantes. Alors, comme vous n'y penserez pas, je vous conseille vraiment de vous y poser et vous direz : « Merci JP ! »
Franchement, si l'on veut éviter le tourisme de masse, être au vert, louer des vélos, faire de la rando, se la couler douce sur un bateau, rien branler ou se la jouer amateur de vielle pierre, la vallée de la Sarthe est faite pour vous. C'est que ce que je disais à Tonio au téléphone alors que je grimpais les rues de Sablé-sur-Sarthe par les remparts pour accéder au château dominant le port. « Tu travailles pour le Guide du routard ? » qu'il me dit en se marrant. L'imbécile ! Il ne savait même pas que Raphaël Elizé fut l'un des premiers maires noir en 1929 et mourut à Buchenwald. Si j'étais là, ce n’était pas pour marcher sur les pas de Fillon, mais par admiration pour le poète surréaliste Pierre Reverdy, qui, en quelques courts poèmes, m'avait montré les plus belles nuits peuplées d'ombres et de fantasmes. Auteur de la phrase fameuse mais néanmoins discutable « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour », c'est au Bateau-lavoir qu'il avait rencontré Picasso, Apollinaire, Breton, Tzara et devint l'amant de Coco Chanel. Mais c'était à quelques kilomètres de Sablé, à Solesmes, qu'il se retira à 37 ans après une révélation mystique, non loin de l’abbaye Saint-Pierre.
Mémère et moi, nous voulions voir cette immense bâtisse datant du 10 ème siècle. Vous me connaissez, je suis plutôt du bouffeur de curé, mais je ne peux rester insensible aux lieux de cultes, quels qu'ils soient. En arrivant à Solesmes, commune de 1 200 habitants, on ne peut plus calme, j'ai compris Reverdy. Mais aussi le couple Fillon qui a acheté le château de Beaucé, modeste manoir et ses bâtiments attenants (chapelle, colombier, chenil, écuries) entourés d'un domaine de douze hectares. Pourquoi se priver quand on peut ? Je croisais quelques moines bénédictins. J'avais un tas de question à leur poser sur le chant grégorien (j'adore) et les sculptures de marbre blanc qui habitent complètement de leurs présences inanimées le transept. En quittant le village, j’enfilais mon casque pour rejoindre Mémère sagement garée à coté d'un massif d’hortensias. Je croisais une bande de scouts portant des masques, qui me regardaient bizarrement. Je repensais alors à cette autre phrase de Reverdy : « Un visage sans intérêt devient tout se suite intriguant sous un masque. » Mémère a démarré au quart de tour. On avait de la route jusqu’à Vierzon. De Reverdy, il ne reste à Solesmes qu'une plaque sur une maison. Que restera-t-il de Fillon ?
(Photo © Franck Devedjian)
