© Simon Gosselin
« Vendredi de Lumière » de Karlheinz Stockhausen, direction musicale Maxime Pascal

La tentation d’Eve et l’étrangeté qui s’ensuit...

par PAUL K’ROS
Publié le 21 novembre 2022 à 12:14 Mise à jour le 6 février 2023

C’est une expérience peu banale qui attend le spectateur mélomane s’aventurant à l’opéra de Lille pour assister à une représentation de Freitag aus Licht de Karlheinz Stockhausen. D’abord ça commence avant même d’avoir débuté, si l’on peut se permettre de dire aussi bizarrement les choses. En effet dès vos premiers pas dans le hall d’accueil vous viennent à l’oreille comme un « salut » les sons de Weltraum la musique électronique de ce « vendredi des lumières »,des sonorités qui ne vous quitteront plus et qui prendront parfois, une dimension cosmogonique et une force tellurique à vous traverser le corps.

Des images-choc visuelles et sonore

Au lever de rideau vous découvrez une construction pyramidale aux lointaines allures de temple Aztèque, trois étages vite peuplés de couples insolites, humains, animaux, objets du quotidien, automates du plus surprenant effet ( scénographie et mise en scène Silvia Costa) à commencer par les jappements d’un chien qui certainement ne pense qu’à chat lequel en retour n’en cogite pas moins et simultanément le clavier non tempéré d’une machine à écrire qui s’envoie en l’air ou plus exactement envoie en l’air les fruits- papier de sa connivence avec la photocopieuse, la jambe avec chaussure de football qui fait des ronds de jambe, cela va de soi, au ballon rond pour mieux le captiver, le flipper qui cligne de l’œil à faire flipper le joueur accro, l’archet dont les assauts font couiner le violon, autant d’images-choc visuelles et sonores qui s’imposent à vos yeux et vous remettent en mémoire la fameuse formule de Lautréamont « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie  ».

Un duo à corps et à voix

Cependant, le nœud dramatique et la raison d’être de cet opéra se déroulent à l’étage en dessous ; selon un rituel presque hiératique on assiste à la rencontre d’Eva et de Ludon (Lucifer) lequel lui propose avec malignité de prendre son fils Kaino pour amant. Eva cède à la tentation. Cet épisode donne lieu à un duo comme on a rarement l’occasion d’en entendre ; la soprano française Jenny Daviet (Eva), stupéfiante d’agilité et de virtuosité dans les aigus et Antoin HL Kessel (natif de La Havane, à Cuba) au timbre de basse impérial, se livrent à corps perdu dans un duel vocal et physique inouï. Bien moins ou bien plus qu’un dialogue c’est une joute de mots, d’onomatopées, qui engage tant les vibrations des corps que les éclats des voix des deux protagonistes.

Nous retrouverons le même phénomène (avec toutefois un moindre degré d’intensité) lors de la fusion entre Eva et Kaino (Halidou Nombre, baryton) au cours d’un deuxième acte parfois un peu plus anecdotique et répétitif.Dans cette rivale dualité Eva estsuivie comme son ombre par deux instrumentistes Iris Zerdoud (cor de basset) et Charlotte Bletton (flûte) et accompagnée d’un orchestre d’enfants (élèves du conservatoire à rayonnement régional de Lille) cependant que Ludon bénéficie du concours zélé du chœur d’enfants de la Maîtrise Notre-Dame de Paris (quelle précision dans le travail vocal et corporel !)Un choral final d’une beauté à couper le souffle (chœur mixte Le Balcon) alimenté par une impressionnante cohorte de personnages aux apparences extravagantes (costumes Bianca Deigner) s’élève dans un mystérieux halo (Bernd Purkrabek, création lumières) avant de se dissoudre dans les nuées.On saluera l’audace et la maîtrise de Maxime Pascal qui, avec son ensemble Le Balcon, a entrepris la réalisation de cycle Licht de sept opéras, (30 heures de musique) un pour chaque jour de la semaine, composé, écrit, imaginé dans les moindres détails par Karlheinz Stockhausen.Et l’on est d’autant plus heureux de savoir qu’à l’initiative de Caroline Sonrier, Maxime Pascal et Le Balcon, déjà familiers de l’opéra de Lille, y sont désormais accueillis en résidence.

  • Karlheinz Stockhausen « Freitag aus Licht » nouvelle production à l’opéra de Lille ; direction musicale Maxime Pascal ; Mise en scène Silvia CostaOpera-lille.fr / @operalille 03 62 21 21 21