Théâtre

Dérives sectaires d’une mère de bonne famille

par PAUL K’ROS
Publié le 18 janvier 2019 à 20:44

Actuellement donné à La Rose des Vents, Le Fils, de Marine Bachelot Nguyen, décrit subtilement l’aveuglement d’une femme glissant vers l’intégrisme.

Quand la haine devient ordinaire.
© Thierry Laporte

En 2011, La Rose des Vents programmait une pièce profondément dérangeante mais pétrie d’humanité, de Roméo Castellucci, intitulée Sur le concept du visage de Dieu.
La présentation de cette œuvre scéniquement superbe jusque dans son dénuement et particulièrement riche de questionnements avait à l’époque suscité l’ire et la violence de groupuscules catholiques intégristes, on dirait aujourd’hui radicalisés, dont l’un nommé Civitas faisait régulièrement irruption dans les salles de spectacle pour l’interdire et enrôlait ses adeptes à processionner à genoux dans les rues alentour criant au blasphème. Inutile de préciser qu’aucun de ces zélés thuriféraires de Dieu n’avait vu la pièce en question…
Il y eut ensuite les « manifs pour tous », anti-avortement et anti-mariage homo. S’interrogeant sur ces clivages qui divisent la société, l’auteure Marine Bachelot et le metteur en scène David Gauchard ont conçu Le Fils, un spectacle qui tente de comprendre l’engrenage de ces dérives sectaires dont le discours haineux peut prendre corps chez une « madame tout le monde » et s’imposer comme ordinaire.

Glissement idéologique

Un plateau circulaire richement marqueté avec en son centre un clavecin. Une femme, jeune encore, cheveux courts, dynamique (Emmanuelle Hiron) d’allure apparente posée, mère de deux garçons très différents, on l’apprendra, monologue face au public qu’elle prend à témoin de sa vie bien établie, pharmacienne, au sein de la petite bourgeoisie provinciale et à partie de ses angoisses délirantes.
On apprend ainsi que par l’intermédiaire de son mari, elle est amenée à fréquenter des catholiques traditionalistes dont la notable notoriété la flatte et dont le discours radical semble apporter du piment à son existence. Elle s’épanouira dans ce militantisme, tentera d’embrigader ses proches et ses enfants dans ce qu’elle considère comme l’aventure la plus excitante de sa vie. C’est l’histoire de son glissement idéologique, de son aveuglement que nous montre avec finesse la comédienne Emmanuelle Hiron en une sorte d’intime confession orale séquencée par des flashs sonores et lumineux. Le propos prend encore plus d’épaisseur et les contradictions de l’acuité avec la découverte par la mère, tel un séisme, de l’homosexualité de l’un de ses fils avec lequel s’instaurent (en voix off) de brefs dialogues.

Le Fils, de Marine Bachelot Nguyen, jusqu’au 18 janvier à La Rose des Vents. Mise en scène David Gauchard, Cie l’Unijambiste.
La Rose des Vents