Mahjoub Ben Bella

Des rives de la Méditerranée au Nord solidaire

par PAUL K’ROS
Publié le 19 juin 2020 à 17:11

Un ami très cher pétri d’humanisme et artiste lumineux vient de nous quitter.Quelle belle histoire que celle de Mahjoub Ben Bella, jeune étudiant algérien à l’école des Beaux-arts d’Oran quittant un jour de 1965 sa ville natale de Maghnia dans la wilaya de Tlemcen et débarquant à Tourcoing avec la fougue créatrice de ses 19 ans afin d’y poursuivre sa formation artistique. Un choix encouragé et facilité par Claude Vicente, son professeur, alors directeur de l’école des Beaux-Arts d’Oran tout juste nommé aux mêmes responsabilités à Tourcoing, poste qu’il occupera jusqu’en 1986.Tourcoing sera donc la ville d’accueil du jeune Mahjoub et le Nord de la France sa région d’adoption qu’il ne quittera plus et dont il deviendra, par ses talents de plasticien et de céramiste, l’un des ambassadeurs de par le monde. C’est à l’école des Beaux-Arts de Tourcoing également que Mahjoub fait la connaissance de Brigitte qui deviendra la compagne de tous les instants, mère de leurs deux enfants, Souhir et Nadjib, veillant à tout avec une discrète efficacité et comme lui bienveillante. Un vent d’indépendance a soufflé sur le pays natal de Mahjoub dont Ahmed Ben Bella, son oncle, deviendra le premier président de la République algérienne. Des rêves d’indépendance d’esprit et de fraternité humaine, le jeune homme en a aussi plein la tête et le cœur, qu’il sublimera par son art et exprimera dans les gestes simples de la vie, les petits et grands combats du quotidien, les amitiés durables. Comme tous les grands créateurs, Mahjoub est un bosseur, il le faut d’ailleurs car les temps sont durs, alors il avale le temps avec la même rage véloce que les coureurs de Paris-Roubaix avaleront en 1986 les 12 kilomètres de pavés qu’il a rehaussés de signes et de couleurs. Sacrée performance de street art. Fallait y penser et plus encore le faire. Mais d’autres plus compétents que moi dévoileront dans ces colonnes les subtils arcanes et le rayonnement de l’artiste Ben Bella.

Carte de vœux de Liberté reproduisant la fresque du festival Wembley ( Nelson Mandela par Mahjoub Ben Bella, 1988)
© Marc Dubois-Archives départementales du Nord

Très tôt se sont tissés entre Mahjoub et notre journal Liberté des liens d’amitié autour d’objectifs solidaires communs ; notre regretté Jean-Raymond Degrève en fut l’un des principaux artisans.Les décennies écoulées sont ainsi jalonnées de multiples initiatives communes avec le journal comme avec les éditions successives de Festi Marx (notre photo), dont les expositions et les thèmes furent un vivifiant creuset démocratique, le lieu et le moment de passionnants échanges créatifs, d’heureuses et fructueuses rencontres. Nous pourrions ainsi citer, à l’initiative et sous l’impulsion d’Alain Bocquet, le premier festival « Pour Mandela » pour exiger la libération de celui qui était encore le plus ancien prisonnier politique au monde. Mahjoub en était bien entendu, avec bien d’autres, comme il le fut en 1988 à Wembley, rendant hommage au même Nelson Mandela avec une impressionnante et émouvante fresque que l’on a pu contempler à nouveau il n’y a pas si longtemps à l’Espace Marx/espace Liberté. Je me souviens aussi d’un premier numéro de Liberté culture mensuel en 1995 dont il avait fait la « Une » et illustré chaque page de ses calligraphies aériennes et sibyllines ou encore de cette sérigraphie réalisée et vendue en soutien à Liberté . Il y aurait mille autres choses à dire mais la stature, la renommée internationale et l’apport artistique de Mahjoub Ben Bella dépassent de bien loin ce modeste propos.Nous lui sommes reconnaissants et nous garderons en mémoire ce regard pétillant d’audace et de perspicacité et ce sourire fraternel non dénué de malice qui marquait tous ceux qu’il rencontrait. Au revoir Mahjoub. Que Brigitte et ses enfants soient assurés de l’amitié de toute l’équipe de Liberté Hebdo.

Le Musée La Piscine à Roubaix où les œuvres de Ben Bella furent régulièrement exposées a installé un des ses grands formats au centre du Grand bassin.