Les chroniques de JPM à La Chope

Florence Bisiaux, actrice, metteuse en scène

Publié le 26 janvier 2021 à 16:50

Après le boxon, que l’on avait mis les copains et moi, Samir avait été sympa de me laisser les clés de la Chope en travaux. Le bar était vide. Ça sentait la peinture fraîche, et j’avais l’impression de faire entrer Florence dans une salle de spectacle vide. C’est elle qui me le fit remarquer. J’ai vite compris que le théâtre, c’était sa vie, un truc qui l’avait toujours suivie, ou plutôt, qu’elle n’avait de cesse d’attraper. « Je suis d’un milieu populaire, mais ma mère a été 20 ans danseuse professionnelle au Théâtre de Boulogne-sur-Mer. Et puis, elle est repartie sur Lille vendre des croque-monsieurs sur la Grand-Place. » Cet après-midi-là, au comptoir désert, Florence ne cessait de revenir sur ses origines sociales. Sans parler de complexe de classe, elle s’était construite autour de cette différence. « J’ai toujours été attirée par le théâtre, mais j’ai longtemps pensé que ce n’était pas pour moi. J’étais timide en classe, je n’avais pas de club théâtre dans mon collège. J’ai donc choisi le seul lycée qui en avait un. J’y ai rencontré un prof de philo formidable, qui animait le club, comédien dans une troupe amateur. Je lui dois beaucoup. C’est à cette époque que j’ai commencé à jouer en rue avec les Aviateurs de Wazemmes. J’étais majorette avec Stéphanie Petit. » Il n’y avait rien à boire. Samir avait tout planqué mais Florence s’en foutait. Je pense qu’elle était contente d’être là. En observant Günther roupiller à mes pieds, elle me parlait avec enthousiasme de la découverte de ces premiers ateliers à la Rose des Vents, « je fus la première à m’inscrire », de l’odeur de la grande salle, de l’émotion devant le plateau vide. « Pensant ne pas faire carrière dans le théâtre, je faisais philo à la fac. Je multipliais les stages et c’est Jean-Claude Giraudon qui m’a proposé d’être son assistante. J’adorais ce statut, cette proximité avec le metteur en scène, la direction d’acteur. Puis il m’a fait monter sur le plateau et c’est lui qui m’a poussée à faire de la mise en scène. J’ai été longue à franchir le pas. » J’avais trouvé une bouteille de blanc sous le comptoir. Nous l’avons dégustée tandis que Florence me reparlait encore de cette difficulté à sortir de son milieu, comme si « j’avais intégré que d’être une femme et comédienne m’interdisait d’être metteur en scène, de mettre mon énergie ailleurs que sur un plateau, d’affirmer ses choix et avoir confiance en soi ». C’est ainsi qu’elle a créé en 2015 la compagnie Hautblique, en hommage aux Shadoks. « J’aime ce décalage poétique. » Son troisième spectacle sera La petite histoire d’Eugène Durif, une adaptation de Roméo et Juliette avec Olivier Brabant et Séverine Ragaigne. Spectacle familial en direction des adolescents. Il sera créé en novembre 2021 à Bruay-la-Buissière puis au Grand Bleu. Il interrogera sur la légitimité des parents à contrôler l’avenir de leurs enfants. « Roméo et Juliette n’est pas une histoire d’amour, mais une histoire sur la liberté, une pièce qui parle de ce rapport de force entre les parents et la volonté de liberté des adolescents, leurs besoins d’évoluer dans un autre milieu, un autre clan, et s’en détacher pour penser par soi-même. » Nous avons parlé de tout cela. Florence avait décidément beaucoup de choses à dire, des choses essentielles qui venaient de son regard attentionné sur les autres et de sa faculté à l’empathie. « Comment peut-on nous empêcher d’être libre de penser ! » C’est par cette dernière question que Florence quitta le bar, me laissant seul avec Günther, ses ronflements, et la bouteille vide.

(Photo : © Droits réservés)