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Musique

Gauvain, sur les pas des géants

par Franck Jakubek
Publié le 22 novembre 2019 à 14:14 Mise à jour le 2 août 2022

Simple, sincère, humain, plein d'empathie et de tendresse, Gauvain Sers n'en finit pas de distiller de la douceur dans ce monde de brutes. Son deuxième album, Les Oubliés, est encore une belle promesse d'amour. Dans ce nouvel opus, il confirme un engagement de cœur au service des mots et de l'émotion. Un cocktail fleurant bon l'amitié, l'amour, la solidarité, l’enfance... Le tout, bien ciselé, frappé au coin du bon sens.

  • Comment êtes-vous venu à la chanson ? Tout est lié à l'enfance. Dans mon premier album, il y a une chanson qui s'appelle « Dans la bagnole de mon père » qui est très autobiographique. J'y parle de mes premiers émois musicaux à l'arrière, avec mes frères à apprendre des chansons par cœur, de Brel, de Brassens, Jean Ferrat. J'ai beaucoup de souvenirs de cette époque. C'est ça qui m'a donné cet amour, cette passion de la chanson.
  • Ces artistes forment-ils votre Panthéon personnel ? Et parmi les vivants ? Certains n'étaient déjà plus là mais ça ne m’empêchait pas des les écouter sur les vieilles k7 de mon père et c'est lui qui m'a transmis cet amour de la chanson française qui raconte des histoires. J'aime beaucoup Barbara et la charge émotionnelle qu'elle arrivait à porter avec juste le piano et sa voix. Mais il y a surtout Anne Sylvestre, Renaud, Alain Souchon... des artistes avec un grand A. Alain Leprest aussi... Et, pour ceux qui sont encore vivants, c'est un plaisir d'avoir pu les rencontrer.
  • Comment s'est passée votre rencontre avec Renaud ? Il est forcément très marqué par la vie. Renaud a été tellement bienveillant avec moi, tellement touchant et bouleversant aussi en tournée. Avec moi, il a été une forme de parrain. Je ne le remercierai jamais assez. Il a été d'une générosité sans nom, sans aucune mesure avec ce qui se pratique dans le milieu de la chanson. À chaque fois, j'ai des remerciements infinis pour lui.
  • Anne Sylvestre, est un peu la marraine aussi de plusieurs artistes de la nouvelle génération, comme Aldebert ou Agnès Bihl avec laquelle elle a chanté à la fête de l’Humanité ? J'ai eu la chance carrément de faire un duo [1] avec Anne Sylvestre sur ce deuxième album. Je l’ai trouvée vraiment bouleversante en studio. Elle est presque encore comme une gamine devant un texte. Elle a cette passion de l'écriture, du mot juste, alors qu'elle n'a plus rien à prouver après une immense carrière et les chefs d’œuvres qu'elle a écrits. J'ai aimé ça, sa passion toujours aussi vive, avec des étoiles qui brillent dans les yeux à quatre-vingt ans passés [2]. C'est presque un moment suspendu que j'ai vécu avec elle en studio. Qu'elle chante des mots que j'ai écrits, c'était un très grand moment.
  • Qu'est-ce qui vous pousse à chanter et à écrire ? Je crois que c'est tout ce que je que vis en général qui me pousse à écrire. C'est ce je que ressens en fait. C'est l'émotion qui me traverse au quotidien. Certains jours j'ai envie de sourire, d’autres, j'ai envie de pleurer, de me marrer ou de me mettre en colère... Pour moi un album c'est un mélange de tous ces ressentis que nous avons tous en prenant notre café le matin. Il faut que ce soit un mélange de toutes ces émotions-là, qu'il y ait des chansons sociales, des chansons d'époque, de société mais aussi des chansons plus légères, ou plus dures, profondes, sur l'amitié ou sur le temps. Plein de choses, mais que ça reflète ce qui se passe dans la vraie vie. Pour moi c'est hyper important.
  • Vous écoutez quelle radio le matin pour vous inspirer ? À vrai dire, je n'écoute pas la radio (rires). J'écoute plutôt de la musique, et des chanteurs justement, qui me procurent des émotions. Ça peut être tous les grands auteurs que j'ai cités, que j'écoute encore assez régulièrement. Et puis j'écoute les nouveautés, et ce que font les amis dont j'aime l'écriture et la musique. En fait je n’écoute pas vraiment la radio ou alors je suis sur une chaîne d'informations.
  • Comment suivez-vous l'actualité ? Est-ce que vous vous considérez vous-même comme un chanteur engagé ? Même si le terme est un peu galvaudé en ce moment... C'est vrai que « chanteur engagé », ça donne l'impression que c'est une appellation un peu pessimiste, péjorative en tout cas. Mais oui, je crois que je suis un chanteur engagé ! Il me semble en tout cas. Parce que je laisse parfois mon point de vue sur des sujets et c'est ça être un chanteur engagé, donner sa vision du monde, son point de vue et se mouiller un petit peu. Ça m'arrive de temps en temps de le faire sur certains sujets. Après j'essaie de ne pas être un donneur de leçons, un faiseur de morale. Ce n'est pas ça qui est important dans une chanson. C'est plus d'être un observateur, un observateur concerné par les choses. Et de voir certains sujets par son propre prisme. C'est ça être un artiste.
  • C'est la base de chaque histoire comme celle que vous racontez dans la première chanson de l’album, « Les Oubliés », En plus de l'école, on enlève autre chose, vous êtes originaire d'un département rural. Vous êtes plus touché ? Vous vous sentez concerné ? Oui, exactement. C'est une chanson très importante pour moi. Et qui me reflète en plus, qui me ressemble en tout cas, et ça me touche parce que c'est un sujet d'aujourd'hui. Ce sentiment d'abandon des gens qui ont l'impression d'être la cinquième roue du carrosse, l'abandon des services publics, le manque de considération de beaucoup de personnes aujourd'hui. Avec comme un fossé qui peut se creuser et c'est raconté par la fermeture d'une école qui représente ça plus largement. Je me sentais légitime d'écrire là-dessus parce que j'ai connu ce genre d’école-là. Je suis fils de prof aussi donc forcément, je me sens concerné par l'éducation, par le rôle de l’Éducation. Et là oui, c'est une chanson très sociale. C'est vraiment une chanson de société qui parle de problèmes beaucoup plus larges que l'école, c'est un problème de centralisation. C'est tout un système finalement qui regroupe beaucoup de choses, comme les centres commerciaux, et aussi ce qui se passe dans l'agriculture qui est organisée industriellement. Finalement, dans les écoles, c'est pareil. On regroupe les gens dans des grandes structures et puis on oublie la proximité et le coté plus familial qu'il y a dans les petites écoles. Une humanité qui se perd un peu aujourd’hui.
  • Dans « L'épaule d'un copain », on ne peut pas s'empêcher de penser à Renaud et son « Déconne pas Manu » ou Gabin dans La Belle équipe, qui chante « Avoir un bon copain ». Est-ce que c'est important pour vous la solidarité, la fraternité ? Est-ce que vous n'avez pas l'impression que c'est ce qui manque quelquefois ? « L'épaule d'un copain », c'est marrant que vous en parliez parce que c'est vraiment ma chanson préférée de cet album, enfin celle que je trouve vraiment différente des autres. Et puis, l'amitié, c'est un thème que je n'avais pas vraiment abordé dans le premier album. Et j'avais à cœur de rétablir cet équilibre-là parce que c'est un sujet qui me touche beaucoup, qui est très présent dans ma vie, encore plus avec tout ce que j'ai vu ces dernières années dans le milieu musical. Ce sont des références qui me plaisent beaucoup, je me sens proche de ces univers-là, c'est sûr.
  • Qu'est-ce qui vous révolte en ce moment ? Qu'est-ce qui vous a choqué dernièrement ? Il y a plein de raisons. C'est pas les sujets qui manquent. En ce moment, c'est l'injustice de manière générale. C'est ce que je disais toute à l’heure (voir plus haut), ce fossé qui se creuse effectivement, qui paraît très injuste. Ce qui me révolte le plus souvent dans la vie, c'est l'arrogance des gens vis-à-vis de ça. Comme les propos de Julie Graziani dans une émission, qui parlait avec dureté de gens qui ont des vies pas faciles, qui galèrent au quotidien. Parler avec autant de suffisance, ça me révolte vraiment beaucoup. Les déconnectés du monde, je trouve ça assez révoltant. Et les sujets ne manquent pas, il y a toutes les semaines quelque chose qui nous révolte. Donc, il y a encore des chansons à écrire.
  • Dans votre chanson « Excuse-moi mon amour », la musique est gaie. Est-ce pour détourner l'attention de la lourdeur (masculine) du sujet ? Ou un contre-pied avec la gravité du sujet ? L'avenir est inquiétant. Je suis encore jeune pourtant, et peut-être que d'autres époques étaient plus inquiétantes, mais l'avenir n'est pas beau à imaginer en ce moment. J'essaie de pas être trop plombant dans mes chansons, parce que si on en rajoute encore un coup sur le casque on ne va pas s'en sortir. C'est important pour moi d'être observateur mais d'avoir toujours des notes d'espoir. Et c'est ça qui nous fait avancer et qui est primordial dans les chansons même s’il y a des sujets sur lesquels il y a peu d’espoir.
  • C'est quoi pour vous un sujet sur lequel il y a peu d'espoir ? Par exemple, quand on raconte une histoire, un fait réel qui est vraiment triste comme dans « Les Oubliés », l'école ferme et la chute c'est la fermeture et point-barre. Mais en même temps, les gens m'ont dit que ça leur avait fait du bien d'entendre ça, que ça leur avait donné de l'espoir. Peut-être juste parce que je mettais en lumière un sujet dont on n’entendait pas beaucoup parler dans les chansons en général.
  • Est-ce que vous avez déjà chanté dans notre région ? Oui, bien sûr, j'ai déjà fait quatre ou cinq concerts. C'est une région que j'apprécie particulièrement parce qu'il y a une espèce de chaleur justement, de chaleur et de proximité. Il y a un sentiment d'humanité.
  • Vous dites ça pour séduire le public.... Non ! (rires) C'est vrai, je le pense vraiment, les gens ont le sens de l'accueil, de la fête. Et on le dit souvent dans la profession, il y a deux régions dans lesquelles les chanteurs adorent passer c'est la Bretagne et le Nord, enfin les Hauts-de-France maintenant. Et en Belgique aussi (rires).
  • Vous avez un souvenir précis ? Il y a la chanson « Hénin-Beaumont », une chanson que j'ai écrite forcément sur cette ville de la région. Je ne l'ai pas chantée à Hénin-Beaumont mais je l'ai chantée à dix ou quinze kilomètres de là. Les gens ont adoré. C'est aussi parce que j'imagine que les gens qui viennent à mes concerts sont d'accord avec moi sur ce sujet-là. J’imagine aussi que tous les habitants ne seraient pas d'accord avec ma chanson. Je crois que si j'étais invité, je ne suis pas sûr d'y aller.
  • « Petite piaule » sonne comme « Ma Môme » de Ferrat. C'est un clin d’œil, un hommage ? Alors là, pas du tout, c'est une assez vieille chanson. C'est la seule qui a été écrite avant la sortie du premier album et du coup c'est une vieille chanson que je ne chantais plus beaucoup. Et je me suis dit, c'est un thème qu'on n’entend pas beaucoup, la première piaule, un jeune couple. C'est aussi très autobiographique. C'est la réalité à Paris pour des gens qui arrivent de la campagne et qui ne connaissent ni l’effervescence parisienne ni le tout petit appart’ qu'on peut louer, qui est minuscule pour deux personnes. On a tous plus ou moins connu ce genre d’appartement pendant les études. Et je me suis dit que c'était important. En plus musicalement je la trouve très différente des autres, elle complète bien l'album. Je n'y avais pas pensé avant mais c'est vrai qu'il y a un clin d’œil à « Ma môme » de Jean Ferrat.
  • Quel événement vous a le plus marqué cette année, plus qu'un autre ? En 2019, peut-être la rencontre avec Jean-Luc Massalon [3], l'instituteur qui m'a écrit une lettre qui a servi de base pour la chanson « Les Oubliés ». Quand j'ai écrit ce titre, je ne connaissais pas l'homme qui était derrière et quand je l'ai rencontré, j'étais encore plus bouleversé que par sa lettre. Du coup, on s'est lié d'amitié et c'est devenu une belle histoire dans une histoire assez triste. Qu'est-ce que vous changeriez en premier, si vous pouviez changer quelque chose ? L'inégalité sociale, peut-être. Que le fossé se rétrécisse et qu'il y ait moins de gens qui dorment dans les rues le soir. Ce serait chouette déjà ça.
Propos recueillis par Franck JAKUBEK
SUR SCÈNE DANS LA RÉGION

L'artiste sera en concert à Crépy-en-Valois (Oise) Salle Gérard de Nerval le 23 novembre, au Théâtre de Denain (59) le 29 novembre, au Théâtre Sébastopol de Lille le 30 janvier 2020 et au Théâtre municipal de Béthune (62) le 11 mars 2020.

Notes :

[1« Y'a pas de retraite pour les artistes » sur Les Oubliés

[2Anne Sylvestre a fêté ses soixante ans de chanson en 2018

[3Ancien directeur de l'école de Ponthoile (Somme) qui a fermé en juillet 2018