© Simon Garet
Mademoiselle Julie au Théâtre de la Virgule/ Tourcoing jusqu’au 11 décembre

Huis clos tragique une nuit de Saint-Jean

par PAUL K’ROS
Publié le 13 décembre 2021 à 11:39

La pièce Mademoiselle Julie de l’écrivain Suédois August Strinberg a été mise en scène par l’auteur le 14 mars 1889 à Copenhague au Danemark et non en Suède où elle était interdite. Il faut dire que cette tragédie naturaliste est un huis clos à trois personnages, une nuit festive de la Saint-Jean, au cours de laquelle Julie jeune aristocrate de 25 ans, fille du comte momentanément absent, déboule aux cuisines avec l’envie de toiser et aguicher Jean, 30 ans, bel homme, employé de la maison. Cette juvénile provocation de maître(sse) à domestique, se fait en présence de Christine, 35 ans, cuisinière vaguement fiancée du précédent. Le duel d’abord verbal ainsi engagé va donner des idées au serviteur qui enhardi profitera d’une prévisible « descente » des fêtards à la recherche de leur hôtesse d’un jour, pour entraîner la jeune femme dans sa chambre cependant que la cuisinière, tombant de fatigue s’est endormie. Lorsque les deux jeunes gens réapparaissent sur scène la situation est inversée, le dominé est devenu provisoirement dominateur et la jeune femme compromise, manipulée, irrésolue, prisonnière de son carcan social va être insidieusement poussée vers le suicide.

Jeux de domination

Cette tragédie mettant en jeu luttes de classes sociales et de sexes a acquis une dimension universelle qui n’a rien perdu de son actualité. La décision de Jean-Marc Chotteau de recréer le huis clos tragique sur la scène de son très intime théâtre de La Virgule est donc bienvenue. Son choix de « s’abstenir de toute modernisation, que ce fut par les costumes, le style de jeu ou le décor » nous semble plus contestable tant le contenu et les formes des luttes de pouvoir et de domination ont évolué depuis la fin du 19e siècle et tant celles des rapports homme-femme ont aujourd’hui envahi de façon nouvelle le devant de la scène sociétale et politique. Dans la cuisine en sous-sol, surannée, patinée, éclairée par des soupiraux, Julie Duquenoy incarne une Melle Julie sur le fil du rasoir, tour à tour piquante, mutine par jeu et par désir, dévoilant sa fragilité, puis dévastée, perdue, avec toutefois quelques fugaces éclaircies d’exaltation et d’espérance rêveuse (un des moments les plus réussis de la pièce). Melki Izzouzi (Jean) louvoie entre servilité et cynisme avec une mâle assurance et une soif de revanche qui vient de loin ; quant à Estelle Boukni (Kristin) elle endosse le tablier gris de cuisinière ou le manteau du dimanche pour la messe avec le même curieux mélange de modestie résignée, de secrète espérance entretenue sous couvert de religiosité et d’un je ne sais quoi de malice dans le regard qui en dit plus long que les paroles. C’est à voir jusqu’au 11 décembre.

Mademoiselle Julie d’August Strinberg, mise en scène Jean-Marc Chotteau au Théâtre de La Virgule / Tourcoing jusqu’au 11 décembre. Réservations au 03 20 27 13 63 ou sur resa @ lavirgule.com.