Opéra

Il était une fois… un conte-opéra à trois temps

par PAUL K’ROS
Publié le 11 mars 2019 à 15:12

En création mondiale à l’Opéra de Lille : Trois Contes, de Gérard Pesson. Dernières représentations mardi 12 et jeudi 14 mars.

« La princesse au petit pois ».
© Simon Gosselin

Le compositeur Gérard Pesson et le metteur en scène David Lescot forment une belle paire d’enchanteurs qui, non contents de nous parler à l’oreille et de nous en mettre en plein la vue, s’associent pour nous conter bluettes et amusettes feuilletées d’un récit caustique à la tonalité plus grave.
Prenez trois contes aussi disparates que La princesse au petit pois de Hans Christian Andersen, Le Manteau de Proust de Lorenza Foschini et Le Diable dans le beffroi d’Edgar Allan Poe, harmonisez, émulsionnez l’ensemble d’une musique subtile, suggestive, fouineuse jusqu’à déceler l’étrangeté derrière les choses ; truffez, farcez, glacez le tout à la mode moqueuse David Lescot et vous obtiendrez un appétissant mille-feuilles musical et vocal à déguster en famille toutes générations confondues.

Le poids d’un petit pois

L’opéra de Lille, toujours à l’affût de nouvelles aventures artistiques, était à la commande de cette dernière et le public s’en est trouvé étonné et ravi.
Une princesse véritable se reconnaît, tout le monde le sait depuis Andersen, à la sensibilité exacerbée de son épiderme, d’où l’importance du petit pois (révélateur sismographique d’authentique lignée féminine aristocratique) intentionnellement et subrepticement placé sous la couche de la belle.
Afin de donner à cette découverte historique tout le poids qui convient, nos auteurs en déclinent musicalement et scéniquement six expérimentations d’affilée, de la plus primesautière à la plus noire en passant par la plus sensuelle et croustillante avec étalage à profusion de matelas, édredons, deux princesses dans le même lit et l’incontournable petit pois qui noyaute toute l’affaire.
Camille Merckx (la reine), Marc Mauillon (le roi), Enguerrand de Hys (le prince), Maïlys de Villoutreys (la princesse), Melody Louledjian (l’autre princesse) emploient tout leur talent à brouiller les pistes et notre perception des choses. Réjouissant !

« Le manteau de Proust ».
© Simon Gosselin

Après ces pochades rondement tournées, Le manteau de Proust fait figure d’austère et aigre parenthèse sur fond de défilement d’intérieurs bourgeois patinés de médiocrité et de suffisance que viennent heureusement estomper en surimpression des feuillets manuscrits du célèbre écrivain (décors Alwyne de Dardel).

Le conte et le compte sont bons

S’ensuivra l’irruption inopinée, diablement dérangeante, d’un diablotin malignement véloce (Sung Im Her) dans un village hollandais d’imagerie d’Épinal répondant au nom de Vondervoteimittis dont les habitants à l’allure placidement cocasse de culbuto (costumes Marianne Delayre) ou de fleur de tulipe renversée ont pour une fois de quoi s’émouvoir, dérangés dans leur quotidien immuable ; leur chant choral à six voix viendra émailler le discours d’un narrateur aussi dégingandé qu’intarissable (Jos Houben).
Auteur du livret et metteur en scène, David Lescot fait merveille, ce qui, après tout, est chose normale, s’agissant d’un conte. Georges-Elie Octors et l’Ensemble (orchestral) Ictus, familiers de la scène lilloise, s’y entendent à merveille eux aussi, surmontant les épreuves harmoniques, pour nous plonger dans les atmosphères suggestives aux couleurs très changeantes et aux emprunts multiples, élaborées par Gérard Pesson.
Le conte y trouve son compte, le spectateur aussi.

Trois Contes, de Gérard Pesson, création mondiale à l’Opéra de Lille le 6 mars 2019, dernières représentations mardi 12 et jeudi 14 mars. Réservations