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Après Hiroshima… Quoi ?

L’Apocalypse selon Günther… et Louise Wailly

par PAUL K’ROS
Publié le 22 octobre 2021 à 14:06

Louise Wailly (auteure, comédienne, metteuse en scène) a un penchant pour les morosophes, ces sages-fous qui sous l’Antiquité révélaient au monde des vérités aberrantes. Elle puise dans cette inclination les éléments d’un théâtre corporel à gros traits où le comique jongle avec le surréel pour mieux nous révéler certaines vérités dont les aberrations allant jusqu’au crime de masse restent brouillées, dissimulées au regard du plus grand nombre. L’apocalypse selon Günther, sa dernière création, inspirée des écrits du philosophe Günther Anders, a pour déclic, si l’on peut dire les choses ainsi, le largage par l’aviation américaine de la première bombe atomique sur Hiroshima le 6 août 1945 et pour objet l’immensité des interrogations et questions existentielles nouvelles qui, depuis lors, sont posées à notre humanité. Rappelons simplement qu’Hiroshima, c’est d’un coup 200 000 morts, une métropole civile entière réduite en cendres avec un bis repetita trois jours plus tard à Nagasaki. Vous me direz, ça fait beaucoup pour une seule pièce de théâtre Fort heureusement, Louise Wailly a une façon disons légèrement baroque et ludique de dévoiler le dessous des choses les plus dramatiques et les plus complexes. C’est ainsi que nous passerons, sans avoir le temps de dire ouf, d’une glauque et fantomatique atmosphère de laboratoire au canapé-télé d’une famille ouvrière standard américaine pour aboutir dans le prétoire « pour de rire », genre Tribunal des flagrants délires du défunt Pierre Desproges, où l’on juge des affaires sensibles du sommet de l’État.

Coupables ou non coupables ?

Les laborantins du début, engoncés dans leur combinaison étanche, sont muets comme des carpes et n’en diront pas plus étant tenus par le secret-défense ; les membres de la famille middle-class d’abord hilares scotchés à leur écran télé changeront de ton lorsqu’ils découvriront sur leur petit écran les faits et méfaits de cette bombe fruit du « projet Manhattan » dont ils ont été les petites mains sans vraiment le savoir. Coupables, non coupables ? Voilà la question. Il n’est pas acquis que le défilé à la barre du président Harry Truman, du scientifique Robert Oppenheimer et de quelques autres nous apporte la réponse ; au spectateur d’en juger. L’affaire ne va pas sans quelques longueurs sur scène comme dans la vie mais mérite que l’on s’y attarde. La relance toute récente de la course aux armements avec l’annonce par l’administration américaine de l’équipent nucléaire des sous-marins australiens résonne comme un signal d’alarme. Mais le théâtre des opérations dont nous parlons ici étant avant tout théâtral, nous ne saurions terminer sans nommer les membres de la bande de comédiens qui nous plongent avec joyeuseté dans cet abîme de réflexions : Jérôme Baëlen, Camille Candelier, Camille Dupond, Michael Wiame et Jacob Vouters. Une belle famille de saltimbanques prête à tout pour nous procurer du plaisir et nous faire réfléchir.

L’Apocalypse selon Günther, écrit par Louise Wailly et Thomas Jodarewski, mise en scène et conception : Louise Wailly, compagnie Protéo. C’était en création au Théâtre de la Verrière. Prochaines représentations le 12 novembre à Saint-Saulve (Espace Athena) et les 3 et 4 décembre à Lille (Maison folie Wazemmes).