Salvatore Piracci, navigateur expérimenté, désormais gardien de la citadelle Europe au titre de commandant de la police des frontières maritimes italiennes, surveille l’arrivée d’embarcations clandestines au large de Catane et Lampedusa.
Saisi par le doute sur le sens de sa mission essentiellement répressive, il décide de prendre la tangente. Souleymane jeune émigrant Soudanais s’aventure à atteindre l’illusoire Eldorado Europa en franchissant mille obstacles maritimes et terrestres, dont la tristement célèbre double barrière de barbelés de Ceuta, à la frontière du Maroc et de l’Espagne. À travers le parcours croisé de ces deux personnages que tout semble opposer, Laurent Gaudé avec le talent narrateur qu’on lui connaît, nous fait vivre, par le biais de la fiction nourrie par le réel contemporain, la dramatique épopée de l’immigration clandestine, avatar de notre siècle à l’heure de la mondialisation capitaliste.
Le théâtre du Nord, qui par bonheur a pu se doter d’une école d’auteurs et de comédiens (elles et ils sont dix huit pour la sixième promotion), nous offrait la semaine dernière, avec le concours de plusieurs d’entre eux, une prenante lecture musicale extraite de ce roman [1]. La grande salle du théâtre était pleine d’une foule toute ouïe, majoritairement jeune.
Saluons l’exploit des deux élèves-auteurs, Hélène Trembles et Noham Selcer, d’avoir transmuté 237 pages de roman en 1h10 de lecture à sept voix. Une interprétation transcendée il est vrai par la sublime singularité du chant virtuose de Rusan Filiztek, voix Kurde (originaire de Diyarbakir au sud de la Turquie) qui résonne singulièrement à nos oreilles aujourd’hui. Cette lecture musicale était dirigée par Simon Abkarian dont on n’oublie ni le talent (il vient entre autres de créer un époustouflant Électre des bas fonds au théâtre du soleil) ni les origines arméniennes. Tout faisait sens ce soir-là.
