Dom-Loup Pichon
Deuxième édition (en catimini) du festival DIRE à la Rose des Vents

L’impérieuse nécessité de dire

par PAUL K’ROS
Publié le 22 mars 2021 à 15:38

C’est peu dire qu’il y aurait beaucoup à dire de la crise sanitaire, de la manière chaotique, erratique parfois, dont elle est gérée depuis un an et pour ce qui nous concerne directement ici de la mise à l’arrêt des théâtres, salles de concert, musées, cinémas... Dit autrement, ce sont toutes les activités culturelles et du spectacle vivant qui sont en quelque sorte « mises aux arrêts » depuis un an avec tous les dommages déjà effectifs ou prévisibles, tant pour les artistes et artisans du monde de la culture privés de leur raison et moyens de vivre que pour l’ensemble du corps social du pays dont la vitalité citoyenne s’en trouve dramatiquement sevrée d’une nourriture essentielle. Il convient donc de résister, (d’aucuns l’expriment actuellement en occupant l’Odéon à Paris ou le théâtre national de Strasbourg) et de se tenir sur la brèche de toutes les façons possibles. La tenue, la semaine dernière, du festival DIRE devant un public restreint de professionnels (seule jauge autorisée) organisé par la Rose des Vents et l’association Littérature, etc. participe à sa façon à cette nécessaire résistance. Mais parlons de ceux qui occupent la scène en ce premier dimanche de mars...

> Thomas Suel : v’là Mine de rien, cheveux en bataille, le visage comme amusé d’un discret sourire intérieur Thomas Suel est une sorte de troubadour des faubourgs, de cette frange des villes du nord dont il exprime avec une désarmante simplicité la candeur et la profondeur d’âme bien au-delà des apparences. Avec sa façon très singulière de slamer, swinguer, fractionner, happer, fusionner les mots c’est toute une poétique du vécu quotidien qu’il nous révèle avec une justesse de ton et de contenu inouïe. Faut entendre ça et croyez-moi ça vous prend aux tripes comme un bel bel oratorio. Rappelons que Thomas Suel est, depuis 2012, compagnon de Culture Commune, scène nationale du Bassin minier, et aussi directeur artistique de la compagnie Entre sol et ciel.

Il y a beaucoup de place dans le ciel pour être fou de Simon Allonneau.
© Laura Vazquez

> Simon Allonneau : Il y a beaucoup de place dans le ciel pour être fou Deuxième « diseur  » à occuper la scène en solo Simon Allonneau, natif de Lens vivant à Lille, que nous ne connaissions pas encore, s’affiche d’allure introvertie, bras collés au corps tenant sa feuille de papier des deux mains comme une dérisoire bouée de sauvetage tout en enfilant d’une voix égale un chapelet d’aphorismes burlesques visant à nous parler des « choses qui se passent à l’envers » et « des personnes qui vivent dans l’autre sens », le tout débité en tranches (inégales) à la manière d’un Pierre Dac statufié en Buster Keaton. Étrange découverte que ce satiriste à la triste figure faisant rire dont on nous dit qu’il partage sa vie entre athlétisme et poker.

Jamais je ne vieillirai de Jeanne Lazar.
© Mona Darley

> Jeanne Lazar : Jamais je ne vieillirai La dernière proposition présentée sur la grande scène de la Rose des Vents se fera à cinq voix sur une idée de Jeanne Lazar. La jeune comédienne issue de la quatrième promotion de l’école du Nord s’empare de deux figures de la littérature « underground » des années 1990-2000, Guillaume Dustan et Nelly Arcan, incomprises et malmenées à leur époque, dont elle adapte écrits et propos en un diptyque sous forme de joutes télévisuelles. Il nous faut bien avouer que ces échanges sur le sexe, la drogue ou le genre exprimés sous le feu des projecteurs nous apparaissent assez convenus aujourd’hui. La proposition scénique de Jeanne Lazar (qui mène le jeu en bleu de travail) s’avère avant tout révélatrice de la vacuité d’une société du spectacle télévisuel et vaut principalement par la qualité de la prestation des comédiennes et comédiens qu’elle a réunis, à commencer par Marie Levy dont le soliloque final est fulgurant et aussi Thomas Mallen (virtuose de la provocation avec le souci des nuances), Glenn Marausse (introverti tout en retenue mais volubile dans l’introspection) ou encore Julien Bodet (un rien matamore dans les limites du bon ton).

Le festival se poursuivait mercredi dans les mêmes conditions drastiques de fréquentation, dernières représentation in situ avant travaux. On en reparlera, bien entendu.

La Rose des Vents, scène nationale Lille métropole Villeneuve d’Ascq. Pour en savoir plus : larose.fr.