Le retour d’Idoménée d’après André Campra à l’Opéra de Lille jusqu’au 11 octobre

L’inattendu et tragique retour d’Idoménée

par PAUL K’ROS
Publié le 9 octobre 2020 à 18:19

D’entrée la mort rôde et règne sur la scène où seul trône un gisant, Idamante, fils d’Idoménée trucidé par accès de folie paternelle. Un alignement de chaises sagement espacées disposées dos au public et sur les côtés latéraux accueillera les participants de la veillée funèbre, tous de noir vêtu comme il est coutume en pareille circonstance et de noir masqués comme il se doit aujourd’hui par gros temps de Covid. Ils arrivent, ils sont tous là, silencieux pas pour longtemps car l’histoire dramatique reprend ses droits en flashback avec ses éléments déchaînés, mers et océans tempétueux attisés par le courroux des dieux et ses passions humaines exacerbées dont les individus de tous sexes et de tous temps savent si bien pimenter, voire violenter leur existence. La musique d’André Campra (une belle découverte pour beaucoup d’entre nous) en décrit tous les états avec une richesse très nuancée déployée par les instrumentistes du concert d’Astrée sans doute ravis d’avoir quitté la fosse d’orchestre où ils étaient serrés comme les sardines dans la mer Égée pour un promontoire en fond de scène d’où ils peuvent observer les protagonistes de cette tragédie lyrique dont ils conduisent et accompagnent les tribulations les plus extravagantes. Emmanuelle Haïm, pour cette fo, tourne le dos aux chanteurs solistes et au chœur antique (magnifique) mais veille au grain (par la magie d’un écran vidéo) avec la maestria rigoureuse et enjouée qu’on lui connaît. Le metteur en scène catalan Alex Ollé (La Fura dels Baus), dont on n’est pas près d’oublier l’époustouflante mise en scène du Vaisseau fantôme il y a trois ans, réussit à transfigurer le plateau presque nu. Ce dispositif est rehaussé par la projection en noir et blanc sur rideau de scène transparent, des personnages mis à nu (scénographie Alfons Flores). Les chaises dont nous parlions au début pourront à l’occasion, habilement manipulées par-dessus tête, figurer le chaos des tempêtes. Ce sobre choix scénique met d’autant en valeur les qualités vocales et scéniques des chanteurs. La distribution est à la hauteur de l’enjeu dramatique peu commun avec notamment le baryton grec Tassis Christoyannis (Idoménée), le ténor anglais Samuel Boden (Idamante), la soprano suisse Chiara Skerath (Ilione) et la soprano française Hélène Carpentier (Électre) que nous devrions retrouver au cours de la saison 2021 pour une version complète de cet opéra Idoménée d’André Campra très heureusement sorti des tiroirs où il sommeillait par Emmanuelle Haïm. Ce retour imprévu et inattendu d’Idoménée constitue une prouesse et une précieuse confirmation de l’ingénieuse réactivité des artistes par gros temps pour peu que l’on n’entrave pas leur liberté créatrice.

Le retour d’Idoménée d’après la tragédie lyrique Idoménée de Campra, direction musicale Emmanuelle Haïm, mise en scène Alex Ollé / La Fura Del Baus ; nouvelle production de l’opéra de Lille jusqu’au 11 octobre. Infos et réservation : opera-lille.fr.