© Aristide Barraud
Au Prato, MEMM - Au mauvais endroit au mauvais moment

L’ineffable légèreté d’Alice pour conjurer l’horreur

par PAUL K’ROS
Publié le 1er octobre 2021 à 14:50

Les gradins de la salle du Prato sont rapidement occupés en rangs serrés par un public, jeune en majorité, doublement vacciné contre la désespérance et le renoncement et ne masquant pas son bonheur des retrouvailles en ce lieu où créativité joyeuse et liberté grande se conjuguent depuis belle lurette sous la houlette bienveillante de Gilles Defacque. La scène est occupée d’un curieux assemblage fait d’un lit médicalisé avec garde-fou et commande électrique aux effets inopinés, d’un pied à perfusion avec poche tuyau et roulettes favorisant les déplacements jusqu’au grand écart et d’un ensemble batterie-percussions qui fera un effet bœuf sous la conduite virtuose de Raphaël. Cet assemblage insolite va être sublimé par une jeune femme de frêle apparence mais de grande force de caractère, Alice Barraud, juvénile circassienne voltigeuse, en main à main et portique coréen dont la trajectoire a été brutalement fracturée, comme son bras troué par une balle lors des attentats de Paris le 13 novembre 2015. D’aucuns diront alors qu’elle était au mauvais endroit au mauvais moment.

Alice fait des merveilles

Faisant fi de l’avis des chirurgiens qui estiment qu’elle ne pourra plus voltiger, Alice entame une reconstruction physique et mentale, défriche un chemin pour sortir de l’horreur dont elle consigne jour après jour la progression dans un journal intime. Ce sont ces fragments de vie qu’elle porte à la scène en jonglant avec les mots et les images avec une sensibilité, une justesse saisissante, exprimées d’une voix qui distille un singulier mélange d’innocence mutine et de jeunesse frappée en plein vol. Sur cette intime confidence vient se greffer la révolte du corps ondoyant tourmenté par le dur désir de durer. L’humour n’est jamais loin qui agit comme un baume sur la douleur. Le tout est empreint d’une subtile poésie avec au final une envolée dont la surréelle songerie vous laisse coi. C’est ainsi qu’Alice fait des merveilles au pays meurtri de son corps. Le spectacle est total, rythmé par la musique envoûtante (en live) de Raphaël de Pressigny.

MEMM - Au mauvais endroit au mauvais moment, c’était en création au Prato à Lille. Puis en tournée en 2022 à Auch, Orléans, Huy en Belgique, Elbeuf puis au Montfort à Paris avec, souhaitons-le, un retour par les Hauts-de-France.

Le Prato, Gilles et Patricia Nous donnons ci-dessus un aperçu des exploits simplement humains et artistiques d’Alice Barraud à travers son spectacle Au mauvais endroit au mauvais moment. À l’instar d’une pléiade d’autres artistes de la piste et des planches, cette jeune circassienne doit beaucoup au Prato, théâtre international de quartier accueillant l’universel, à Gilles Defacque, fondateur-créateur, figure emblématique illuminée du lieu, et à Patricia Kapusta qui en a été l’inventive et passionnée cheville ouvrière, adoubée depuis peu chevalière des arts et des lettres. Si nous privilégions aujourd’hui dans ces colonnes le geste artistique dans l’instant où il se crée, comme eux-mêmes l’ont toujours fait et encouragé, nous reviendrons dans une future édition sur leur aventure commune, à nulle autre pareille au service de l’art, cœur et poumon de notre humaine condition, à l’heure où Gilles et Patricia s’apprêtent à quitter la direction du Prato.