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Le Cabaret de curiosités à Aulnoye-Aymeries

La culture, on s’en occupe...

par PAUL K’ROS
Publié le 23 mars 2021 à 17:52

Nous faisions état la semaine dernière de l’occupation du théâtre de l’Odéon sous l’impulsion du syndicat CGT spectacle. Depuis, le mouvement a pris de l’ampleur (plus de soixante théâtres occupés) ; gagné l’ensemble de l’hexagone, dont le Nord, avec la détermination et un bel esprit de responsabilité de nombreux jeunes intermittents, comédiens, musiciens, techniciens. Parallèlement, les directeurs de théâtres tiendront une assemblée publique le 25 mars à Paris en compagnie de spécialistes du monde scientifique, médical, judiciaire en vue d’une ouverture urgente des lieux de culture dont tout montre qu’elle est possible et indispensable. Cet esprit de résistance et de responsabilité créative, nous l’avons retrouvé, d’une autre manière, dans la tenue (soigneusement organisée dans les règles sanitaires imposées) du « Cabaret de curiosités » organisé sur trois jours par la scène nationale Le Phénix Valenciennes avec 15 propositions artistiques dans sept villes et dix lieux du Hainaut-Sambre-Avesnois. On en retrouvera ci-dessous un très partiel aperçu vu du côté d’Aulnoye-Aymeries.

Aulnoye-Aymeries : ça voyage !

Nichée au cœur de la Sambre-Avesnois la ville d’Aulnoye-Aymeries fut un pôle ferroviaire essentiel au carrefour de l’Europe doublée d’un cœur industriel battant métallurgie. La municipalité à direction communiste a pris soin depuis toujours d’y cultiver l’esprit et l’imaginaire de ses administrés en accordant une attention particulière au développement de la vie artistique et culturelle. L’emblématique festival des Nuits secrètes témoigne du rayonne- ment de cet engagement tout comme le théâtre Léo-Ferré qui entame une seconde vie flambant neuf, l’espace de création théâtrale 232U qui vibre du travail des compagnies accueillantes et accueillies ou encore le centre régional des musiques actuelles en voie d’achèvement... Ce n’est donc pas le fait du hasard si le Cabaret de curiosités initié par la scène nationale Le Phénix/Valenciennes marcotte de ce côté-ci. Et croyez-moi, dans la cité cheminote ça voyage !

> Le troisième Reich de Roméo Castellucci : Mitraille de mots à décerveler... au théâtre Léo-Ferré Nous avons eu souvent l’occasion dans ces colonnes d’évoquer les images explosives de sens du metteur en scène italien que ce soit au théâtre ou à l’opéra mais l’installation qu’il nous propose cette fois est d’une nature toute différente se résumant en un déferlement de mots non-dits mais projetés sur grand écran à pas cadencés, imposés à votre rétine à vitesse exponentielle. C’est tout un chapelet de mots qui défile, crépite, vous assaille, vous aveugle comme les balles traçantes d’un fusil mitrailleur. À la première salve, vous cherchez spontanément à les repérer, trouver sens à leur ordonnancement puis très vite les mots s’écartèlent, se bousculent, se chevauchent, se brouillent, se mangent les uns les autres pour vous gaver, envahissent votre cerveau de leur bouillie martelée par la musique obsédante de Scott Gibbons. 50 minutes chrono de communication médiatique contemporaine. Décervelage garanti comme aurait dit le Père Ubu. Nous devrions retrouver Roméo Castellucci au Manège à Maubeuge en octobre.

> HOWL de Maya Bösch au 232U Implantée dans un hall de réparation de locomotives, vestige de l’ancienne gare de triage ferroviaire international, sur le lieu joliment dit « la florentine », la fabrique de théâtre 232U ouverte aux signaux créatifs venus de toutes parts était tout indiquée pour accueillir la Zurichoise Maya Bösch et son spectacle consacré à Allen Ginsberg écrivain culte de la Beat Generation. Flashé sur les murs de brique nus chargés d’histoire industrielle ou arpentant les charpentes et coursives de l’atelier, le comédien Laurent Sauvage nous embarque dans une épopée ininterrompue aux accents révolutionnaires et vagabonds du poème Howl, la guitare électrique de Vincent Hänni y entrelace ses résonances fiévreuses.

> Le syndrome Ivanov de Christophe Piret C’est dans le salon d’honneur de l’ancien hôtel de ville que se termine notre périple Aulnésien. Une salle des mariages comme tant d’autres recélant les souvenirs heureux, parfois fugaces, de générations successives. Mais cette fois, l’affaire est plutôt cocasse, le salon hâtivement et sommairement bricolé accueille une ébauche, quelques fragments d’une composition théâtrale aux accents dramatiques et au titre évocateur de syndrome Ivanov. L’affaire en pleine gestation est conçue par le metteur en scène Christophe Piret (natif du coin et directeur artistique du 232U évoqué plus haut) en symbiose avec le comédien Jean-Louis Coulloc’h qui nous donne ici un avant-goût impressionnant de l’état de déréliction et de déglingue pouvant saisir toute personne atteinte de cette désespérance chronique conduisant à l’auto-destruction. On aura compris que Christophe Piret entend dévoiler quelques facettes de l’état des sentiments, rapports et relations humaines aujourd’hui. La création devrait se faire au Théâtre du manège à Maubeuge à une date non encore connue.