Opéra

Le temps ne fait rien à l’affaire

Amour, désir, jalousie...

par PAUL K’ROS
Publié le 31 janvier 2020 à 18:51

Photos © Simon Gosselin.

Bien avant que le rideau se lève et que l’orchestre de Picardie ait laissé échapper les premières notes mélancoliques du prélude des Pêcheurs de perles, la présence à l’avant-scène de l’opéra de Lille d’un vieillard, vu assis de profil, ingurgitant avec une laborieuse lenteur ses cuillerées de soupe, laisse présager un je-ne-sais-quoi d’insolite pour cet opéra de jeunesse de Georges Bizet. Il nous y conte les souvenirs d’un serment d’amitié entre deux jeunes gens, Nadir et Zurca, tous deux amoureux de la même femme, Leïla, qui elle-même, dans la fleur de son âge, a prêté serment de ne se dévoiler ni à l’un ni à l’autre.

Gravité et humour

De l’eau ayant coulé sous les ponts et les flots de l’océan indien ayant inlassablement brossé les rivages de l’île de Ceylan, nous pensions retrouver nos protagonistes sur la plage de leurs juvéniles exploits. Mais le flair imaginatif du collectif flamand Anversois FC Bergman nous fait découvrir en lever de rideau la salle commune d’une maison de retraite emplie de pensionnaires figés comme statues de sel... Croyez-moi, c’est un choc ! Et ce choc est encore plus grand lorsque de cette communauté zombie commence à sourdre puis s’amplifier un chant harmonieux et fort comme la houle. Il y a là quelque chose de mystérieuse- ment magique qui semble surgir du plus profond de l’humain.

Les Pêcheurs de perles, Bizet
© Simon Gosselin

Profitons-en tout de suite pour dire l’importance du chœur, personnage à part entière dans cet opéra, figurant une communauté faisant bloc autour de son chef, tour à tour adoratrice, idolâtre ou vengeresse. Profitons-en également pour redire l’excellence vocale et scénique du chœur de l’opéra de Lille (direction Yves Parmentier) obligé ici de s’exprimer dans des postures très contraintes. C’est saisissant, au sens le plus fort du terme. Le chef d’orchestre Guillaume Tourniaire, passionné de chant et familier de l’œuvre de Bizet, conduit, avec une ferme et précise dextérité, les instrumentistes de l’orchestre de Picardie à donner le meilleur d’eux-mêmes pour exprimer le climat nostalgique dans lequel baigne cet opéra, en faisant miroiter les subtiles cou- leurs instrumentales et vocales, tantôt exaltées par les élans de la passion amoureuse des protagonistes, tantôt ébranlées par les accents tragiques de la jalousie ou les éclats de la fureur vengeresse.

Pour paraphraser la chanson de Brassens en amour comme en c... le temps ne fait rien à l’affaire.

Un temps long que les metteurs en scène du collectif FC Bergman étirent à l’extrême jusqu’à en faire une méditation sur la mort. Mais c’est l’amour de Nadir (Marc Laho, ténor) et de Leïla (Gabrielle Philiponet, soprano) qui finira par triompher avec le renoncement et consentement final de Zurka (Stefano Antonucci, baryton). Belle prestation d’un trio vocalement très convaincant formant un triangle amoureux d’autant plus émouvant qu’il persiste et se régénère à travers les âges comme eau de source à travers les strates géologiques fossiles. Vous serez étonnés d’entendre et redécouvrir, dans cet opéra rarement porté à la scène et dans ce contexte si singulier, des airs et des mélodies qui vous sont familiers au point de les fredonner spontanément parfois.

Les Pêcheurs de perles, Bizet
© Simon Gosselin

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur ce spectacle paradoxal. Parler de la beauté de ce couple de danseurs nus (Félicité Guillo et Yohann Baran) incarnant l’ivresse amoureuse de Leïla et Nadir sur la plage de leur jeunesse, surplombée d’un vague géante à la crête menaçante. Ou a contrario commenter l’arrivée processionnaire de Leïla dans son grand âge, portée à bout de bras dans un fauteuil roulant, telle une star en énième tournée d’adieux avec ultime concert aux briquets pour fans assagis, en voie d’extinction. Si les metteurs en scène lancent loin le bouchon sur l’onde du souvenir, mariant avec audace gravité et humour, au final c’est la musique et le chant qui l’emportent, pour le plus grand plaisir du spectateur.

Les Pêcheurs de perles, opéra de Georges Bizet, direction musicale Guillaume Tourniaire, orchestre de Picardie, chœur de l’opéra de Lille, mise en scène FC Bergman, c’est à l’opéra de Lille jusqu’au 4 février. Tarif : 5, 13, 31,50, 51 ou 72 €. Réservation en ligne sur billetterie.opera-lille.fr.