© Simon Gosselin
Entre chien et loup...

Le théâtre de la passion et de la mort !

par PAUL K’ROS
Publié le 4 juin 2021 à 14:37

Créé le 14 janvier 1900 à Rome alors sous la coupe autoritaire d’Umberto I, le Tosca de Giacomo Puccini, un des cinq opéras les plus joués du XXe siècle, jouit aujourd’hui encore d’un engouement du public qui n’est pas près de s’éteindre. En témoignent en ce début d’année 2021 les deux nouvelles productions à l’affiche à l’opéra de Lille et au théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Les raisons de cette constante ferveur populaire tiennent à la déflagration émotionnelle engendrée par la musique de Puccini et à la charge dramatique et politique toujours actuelle du livret d’après la pièce retentissante de Victorien Sardou. Sur fond de conquête napoléonienne dans la Rome de 1800 soumise à la férule terrifiante de Marie-Caroline d’Autriche, ce mélodrame romantique suit le destin tragique de la cantatrice Floria Tosca et de son amant, le peintre républicain Mario Cavaradossi qui, en voulant cacher un fugitif, font face aux violences du tout-puissant baron Scarpia, chef de la police, lui-même épris de la chanteuse. Initialement programmée dans une mise en scène de Robert Carsen, cette nouvelle production de l’opéra de Puccini voit le jour à Lille dans une configuration fort singulière imposée par les contraintes Covid et mise en espace par Olivier Fredj. L’orchestre national de Lille occupe l’intégralité du parterre entièrement dépouillé de ses rangées de sièges tandis que le chœur manifeste spectaculairement sa présence dans la première galerie ; quant aux protagonistes principaux du drame, ils hantent la scène dépourvue de tout ornement et plongée dans un halo de demi brume. La sombre atmosphère, entre chien et loup, ainsi rendue s’avère assez propice finalement à cette histoire faite de conspirations, de scènes de torture physique et mentale, de passions et de mort.

Une ambiance sombre éclaircie par la malice enfantine

Cette grisaille inhabituelle dans une Rome ordinairement vibrante de lumière et de chaleur sera ici simplement tempérée par le portrait géant d’une Madone au mystérieux sourire de Joconde, œuvre en cours du peintre Mario Cavaradossi et objet de la jalousie de Tosca, ainsi que par la présence innocente et malicieuse du chœur d’enfants. Il suffit de savoir aussi que les trois lieux de l’action sont successivement l’église di Sant’Andrea della Valle, l’appartement de Scarpia au Palais Farnèse et la plate-forme du château Saint-Ange avec au loin le Vatican et Saint-Pierre.

Une distribution de grande qualité

Cette nouvelle production lilloise se distingue avant tout par la qualité de sa distribution. La soprano libano-canadienne Joyce El Khoury, dont c’était la première prise de rôle de Tosca, se révèle très convaincante dans tous les registres même si l’on aurait pu espérer plus de spontanéité dans cette course folle à la vie à la mort et l’on ne peut que regretter ce contresens du metteur en scène qui la fait se pendre au final (au lieu de se jeter à corps perdu dans le vide) donnant à son geste ultime de révolte et de défi une connotation de préméditation totalement inappropriée. Le ténor natif du Chili Jonathan Tetelman (Mario Cavaradossi) impressionne d’emblée d’un timbre de voix bien affirmé et d’une posture altière qui confèrent à son personnage une fierté d’engagement et une dignité de convictions qu’il conservera jusqu’à la dernière scène de fusillade faussement simulée. Le baryton arménien Gevorg Hakobyan glace son monde en Scarpia froidement manipulateur, ivre de pouvoir et de la luxure sous couvert de défense de l’ordre bienpensant. Le baryton français Frédéric Goncalvez (le sacristain) apporte une note de balourdise trébuchante confite de religiosité. Quant au Jeune chœur des Hauts-de- France, il est impeccable vocalement et gestuellement, apportant une touche de fraîche insouciance bienvenue. Le chœur de l’opéra et l’orchestre national de Lille étaient placés sous la direction d’Alexandre Bloch dont c’était une première dans ce bel écrin. Ce spectacle, également diffusé le 3 juin en direct sur grand écran dans 17 villes et lieux des Hauts-de-France, est encore visible gratuitement sur la chaîne YouTube de l’opéra de Lille.